adcha » those hollow eye sockets.

Trop tard, pour voir des âmes dans les ruelles. Ou peut-être trop tôt ? Peu de repères temporels pour la sublime, elle sentait juste que son enveloppe ne tarderait pas à s’effondrer, risquant de se disloquer, d’étaler ses entrailles sur la place publique. De se briser, à jamais. Dans le fond, c’était déjà le cas, pour Adèle, au corps couvert d’ecchymoses et de stigmates, depuis qu’elle se lançait corps et âme dans des combats de rue. Prendre des coups, en donner : la Princesse déchue côtoyait désormais la mauvaise graine des rues, peuplant la plèbe tant méprisée jusqu’à ce jour brûlant d’été. Vain de revenir dessus, inutile d’humidifier ses prunelles claires, parce qu’à force de pleuvoir, la pluie n’adviendrait plus. Et elle se dessécherait, la belle. Ne serait plus qu’une fleur, incapable de renaître, incapable de reparaître. Beauté éternelle, ceci dit. La tignasse brune délicieuse, ce regard, capable d’en foudroyer plus d’un, la frimousse agréable. Puis, la violence entre ses pulpes charnues : le ton amer, les palabres acerbes. Délicat contraste d’une magnificence et d’une pourriture. Alors, la marche se faisait langoureuse, douloureuse. Un bras autour du buste, pour se tenir, même si cela n’avait aucun effet : tout le corps recouvert de constellations amères et le souffle court, ponctuant l’avancée, peinant à se frayer un chemin hors de ses pulpes sèches. Alors, il n’était pas surprenant de la voir vaciller au moindre coup de vent, se laissant tomber sur des bancs, parfois occupés par des SDF qui l’envoyaient balader. La chassant vers d’autres patries. Déconnectée, elle n’entendait rien d’autre qu’un bourdonnement, la vision rendue floue par quelques perles de cruor, ruisselantes le long de ses paupières, épousant sa mâchoire jusqu’à s’éteindre sur la nuque dégagée. Assise, de la sorte, Adèle, elle risquait gros si l’on venait à l’attraper, la reliant facilement aux luttes clandestines auxquelles elle s’adonnait, de bon cœur. Un moyen comme un autre de se tuer à petit feu, rêvant de sa gorge tranchée et de ce bain de sang dans lequel elle serait lasse, impériale, Adèle. Maigre rictus aux lèvres, à de nouveau se lever, peinant à se stabiliser sur ses gambettes, rendues fébriles, encore plus, par le choc des coups, par cette pause malvenue. Quelques regards curieux se posaient sur elle, à traîner, à boiter, se demandant quand est-ce que la demoiselle s’effondrerait, si l’on devait appeler les urgences. L’appartement encore éloigné, elle peinait à avancer, Adèle, grognant en laissant son dos prendre appui sur le mur de briques glacé d’un immeuble résidentiel. À glisser, la croupe aplatit sur le bitume froid, à fermer les yeux, quand bien même les étoiles brillaient de mille feux, ce soir. Elle pensait, la belle, à ce combat remporté, aux billets coincés dans son soutien-gorge et au bien-être ressenti en frappant cette femme, la rouant de coups, jusqu’alors, favorite. Adrénaline passagère, mais salvatrice, qui la faisait presque frissonner, Adèle. Le cul glacé et sur le point de perdre connaissance, comme un déchet balancé à travers une fenêtre. Succulente déchéance.

(c) TORTIPOUSS.