pretty lies and bad omen (clary & leo)

Royalement, félinement intronisé au sein d'un large fauteuil en cuir ébène mat du fastueux manoir Sterling, une coupe emplie de liqueur ambre scandaleusement carissime entre les doigts fins, le maitre des lieux, Leofstan, maintenait des rétines glaciales férocement rivées sur le visage d'un intrus au sang impur souillé par les mélanges du nouveau monde et de sa rage de pouvoir démérité. Beau-frère malgré les râles et menaces du grand frère. Un boulet de plus à ajouter à sa liste de miséreux lui coutant bien trop de temps de sa vie millimétrée. Une énième lubie de la petite dernière. Fantaisie abêtie du mouton de la dynastie louve. Qui d'autre que Clarissa pour s'éloigner autant du chemin pourtant loin d'être répugnant, celui pavé d'or et de splendeur ; prédestiné aux grands de ce monde ? Ah, eh bien son benjamin, il supposait. Enfin, le sujet n'étant pas le gamin ce soir durant, bien que celui-ci fut invité -obligé- à participer au dîner Sterling/Atkins avec ses trois autres pairs pour.... Leo ne saurait dire ce que cela apportait de si inestimable à vrai dire, si ce n'était que cette idée brillante de Jess et sa passion pour organiser des grandes soirées inutiles ne faisait qu'accroitre son ennui abyssale et titiller gentiment une irritation électrique. Dire qu'il pourrait actuellement passer une soirée calme en compagnie de Theo, discuter bourse et politique, femmes et jeux de pions. Mais non, il avait fallu qu'il cède aux caprices de sa sœur favorite, partenaire de crimes et d'atrocités impériales. Jess agaçante, Jess impossible, Jess boréal... Mais Jess finissait toujours par gagner. Constat affligeant. Soupir démesurément théâtral de l'ainé vaincu par la lassitude ou le sourire trop fier de sa journaliste incoercible préférée.

Ce soir, elle lui imposait la compagnie de bien trop de monde, et surtout bien trop d’Américains (un seul étant déjà bien trop au goût de Leo). À commencer par Marcus Atkins. Leo le fixait, d'aucuns diraient, depuis suffisamment longtemps pour que cela apparaisse comme étant effrayant. Bad omen in perspective. Sans sourciller un instant, il le défiait d'une aura féroce. Nul mot n'était nécessaire pour illustrer ses airs. Il ne prit d'ailleurs pas la peine de lui proposer de s'assoir sur le canapé, non loin de lui, pour discuter en cette fin de soirée, comme il l'aurait fait en d'autres circonstances, en d'autre compagnie, s'il s'était seulement donné la peine de revêtir le masque hypocrite, parfaitement lissé. Celui même qui lui seyait si bien, que ses citoyens britanniques lui célébraient trop bien. Tant de manières. Et pour quoi faire ? Il était chez lui, en terrain conquis, et cet homme venu d'ailleurs n'était pas le bienvenue ici. Le message était aussi clair, aussi évident qu'il était d’exécrable humeur. Pourtant, Leo jouait parfaitement bien la comédie des valses humaines. Le politicien se devait d'user de l'intégralité de son impeccable sang-froid (pourtant bien mis à mal avec le quatuor de petits dévergondés qu'il se trainait) pour maintenir en place l'illusion d'un calme de façade, d'une sérénité qu'il était à mille lieux de ressentir pour que le reste de la compagnie forcée ne se doute de rien, ne vienne pas à la rescousse du petit ricain qui, bientôt, semblait-il, allait se faire croquer par l'anglais.

Mais il y avait ce petit quelque chose en plus tué dans l’œuf, ce petit rien à priori qui devait, quelque part, expliquer ce mépris qui avait grandi dans la cage thoracique du patriarche Sterling depuis leur dernière entrevue. Non. Quelque chose n'allait pas. De ces petits rien qu'il ne connaissaient que trop bien. Des petits rien qui faisaient en réalité tout. Naturellement superbement doué dans le jeu des ombres, la communication non-verbale, de ceux ayant le malheur de croiser ses absinthes impudiquement clairvoyantes, n'avait aucun secret pour le marionnettiste des âmes en peine. Par ailleurs, les regards s'étaient endurcis entre les deux jeunes mariés. Leofstan le sentait à mille lieux. Quelque chose se tramait, sans qu'il ne soit mis dans la confidence et ainsi capable de pointer avec exactitude ce quelque chose, et c'était ça, le fond du problème. Cette indécence qui déterrait sa fucking superbe nonchalance lionne habituelle. Il ne saurait dire si l'idée que sa petite sœur soit mal à son aise auprès de son mari était ce qui le dérangeait le plus, ou si c'était celle que celui-ci puisse comploter naïvement, stupidement, dans le dos des Sterling. Quoi que cela pouvait bien être. Il devait en être. De toute évidence. De toute élégance. Savoir, tout, pour pouvoir contrôler. Tout.

La silhouette angeline de Clarissa passa comme une plume, d'une légèreté typique des leurs; près des immenses rideaux, au fond de la salle méticuleusement parée de dorures et de tableaux couteux. Elle semblait tenter de s'extirper d'une conversation avec le cadet de son mari. Un énième ricain dont Leo se serait bien passé. Décidé à en apprendre un peu plus, la flèche atteignit sa cible et rien ne pourrait la retirer. Le politicien comptait naturellement demander des comptes à celle qui nageait littéralement dans le bain américain suspicieux. La distinction condescendante pour cape, Leo s'extirpa enfin de son assise, passa lentement à côté de Marcus, sans lui accorder plus aucune attention puis vint rejoindre les deux jeunes gens. Landon — quel dommage, à une lettre près, il portait une chance d'être quelqu'un pour Leo, une chance d'être un enfant rejeté de la Perfide Albion; se décida à quitter Clary, la lui laissant à lui seul. Tête à tête surprenant, qui avait si peu existé entre ces deux frère et sœur liés par le sang, et pourtant étrangers par les sentiments... par ses méfaits à lui, notamment.

— Clary, deary, un verre d'offrande de ton frère contre tes plus profonds secrets.

Le ton du frère faussement joueur, nonchalant; l'esquisse d'un sourire trompeur en coin. Celui du politicien qui entamait sa chasse, tournant autour de sa proie pour lui faire entendre qu'il n'y avait là aucune issue possible. Sur ses mots, il avait attrapé une flûte de champagne sur le plateau tendu par un serveur pour la tendre à sa chère sœur.

— Alors, dis-moi, comment vis-tu ton rêve américain ? Tu assumes toujours ton caprice ?

Souffle innocent, incartade maitrisée, œil avide de fissures. Dis moi tout, petite sœur, je t'écoute et t'aiderai... si ça m'aide aussi.

(( @Clarissa Sterling-Atkins    ))