Deal with it (Holly - Coyote)

Le front posé contre le mur glacial j’ai tenté de trouvé un semblant de sommeil, mais l’agitation des locaux s’acharne à me rendre la tâche impossible. Alors qu’il me semblait qu’enfin mon esprit se floutait, une main s’est posée sur mon épaule.

- Calme-toi !

Aboie l’officier en réponse à ma réaction virulente qui me valu un bon plaquage face contre le mur. Faut croire que les heures de nuit ne lui réussissent pas à celui-là… Je grogne en “le suivant”, les yeux rougis par la fatigue et la drogue circulant dans mon système, tout autour de moi semble brouillé. Cependant, je connais cet endroit… Je connais bien le poste de police. Ils ont un sacré dossier me concernant, entre mes arrestations pour délits mineurs et mon profil psychiatrique qui m’a toujours épargné la case prison…

J’entre dans la salle d’interrogatoire, menottes aux poings comme un horrible criminel. J’en connais un, moi, de criminel, un meurtrier, un enfoiré au nom de Zane Davis. L’homme que je tuerais un jour.

La lumière me fait cligner des yeux, évacuant les larmes qui s’agglutinent sous mes paupières pour supporter la brutalité de l’éclairage. Je ne pleurerais pas, ici ça ne toucherait personne ma comédie, personne ne me considère comme un être humain. Juste une chose dont l'esprit est brisé. Je fini par relever le regard vers l’homme dont la bouche remue sans que je n’écoute ses paroles… Oui… Oui je me suis battu, oui j’avais de la drogue sur moi et dans le sang. Oui j’ai mis le feu à ces poubelles…

Je reste silencieux avant d’éclater de rire quand sa dernière question accède jusqu’à ma matière grise imbibée de substances illicites qu’ils m’ont confisqués, les salopards.

- Si j’ai pris mes médicaments dernièrement ?!

Je riais de plus bel.

- Elle est bien bonne celle-là… Mes médicaments !!!

C’est trop dur de retrouver mon calme à cet instant. Je sais ce qu’il cherche à faire, ils veulent nettoyer la ville d’un taré en l’envoyant de nouveau en psychiatrie. Ça craint pour moi. Pourtant, je suis incapable de réagir normalement. Je suis incapable de paniquer alors que retourner là-bas, encore et encore, c’est la définition de mon enfer personnel…

Il a dû perdre patience, parce que je me suis retrouvé tout seul. Changement d’équipe. Les secondes sont des heures, j’suis assis à ce petit bureau en fer sur cette chaise crissement dure qui semble m'enfoncer le coccyx dans le pelvis. Tout ça sans une fichue goutte d’eau et sans rien dans le bide. Mes mains tremblent, la sueur perle sur mon front. Mon corps sait ce que je risque, ma tête le réalise beaucoup moins. Ma tête sait que je vais m’en sortir, que j’peux renverser la vapeur, mettre ce monde à mes pieds. Ma tête sait à quel point je suis fort. Ma tête est lourde, elle aimerait bien dormir… Juste cinq minutes.

Mon échine se courbe pour que je puisse poser la joue sur la table, piquant du nez dans cette lutte contre le sommeil depuis des heures. Mon corps reste alerte et quand la porte s’ouvre à nouveau, il m’oblige à ouvrir les yeux. Tout est à nouveau si flou, les lumières ont l’air tellement plus vives que tout à l’heure. Je sacre dans ma barbe en redressant tant bien que mal les épaules dans une lenteur affligeante.

- Je… J’te connais toi…

Faut dire, une femme en uniforme, ça ne s’oublie pas…

Pourquoi est-ce que je la connais ? Elle m’a certainement déjà arrêté, à moins qu’elle m’ait laissé filé ? La flic qui m’a laissé filer, c’était pas à Montréal ?

- Bon sang, qu’est-ce que j’en sais moi ?

Pensais-je en français au lieux de garder ça en mon for intérieur.

Mon regard se pose sur la tasse qu’elle a apporté avec elle, j’savais pas qu’on pouvait avoir soif à ce point, j’parie que c’est du pisse-mémé ou le café le plus amer du monde là-dedans. Mais tabarnak, qu’est-ce que je le veux, qu’est-ce que j’en ai besoin…

- Quand est-ce que j’sors d’ici ?

Combien de fois ai-je posé cette saleté de question dans ma vie ?

Mon lit et sa couette neuve et chaude… Neuve parce que j’en ai déchiqueté plus d’une dans mes accès de colère. Il ne faudrait jamais laisser une paire de ciseaux dans la chambre d’un bipolaire. Qu’importe, j’ai toujours une nouvelle couette moelleuse, Vil mon colocataire y veille. Je devrais l’appeler. J’ai pas le droit à un coup de fil ou c’est uniquement pour les films ? Pourquoi personne ne m’a proposé d’appeler mon avocat ou… Un docteur ? Je pense à ma couette, la joue contre la table métallique quand elle est arrivée pour tout gâcher.

Elle dit rien cette femme au café, elle me nargue je le sais, ils le font tout le temps. Jouer les plus forts, abuser de leur pouvoir pour justifier leur cruauté. Ils pensent représenter la loi, alors tout leur est permis. Y compris piétiner un homme à terre.

Finalement elle parle, me fait étalage de ses connaissances à mon sujet. Des briques semble poser sur mes épaules et alourdissent ma colonne vertébrale semble. Elle s’installe en face de moi, jouant avec cette tasse que je peine à quitter des yeux. J’la déteste cette fille, mais qu’est-ce que je peux faire ? Menotté là, assis sur la chaise la plus inconfortable de l’histoire. C’est elle qui mène la danse dans cette salle ignoble. Elle a dû en accueillir cette pièce, des fous, des criminels, des victimes, des innocents…

Mes yeux me piquent, me brûlent. Mes pensées me harcèlent, mes émotions sont fragiles en raison de mon épuisement physique. Ils ne devraient pas jouer à ça avec moi… Je peux partir en vrille en un claquement de doigts, je lutte contre ça, je lutte douloureusement.

Et dans cet océan de souffrances internes, je trouve la force de sourire, mon regard remonte vers ses yeux à elles, vifs et lucides.

- La prison ?

C’est drôle, parce que ce n’est clairement pas ce qui m’effraie le plus. J’ai bien plus peur de retourner en psychiatrie que d’aller en prison. C’est pour ça que je lutte si férocement à cet instant, je lutte pour ne pas sombrer dans la folie, pour ne pas finir aux urgences psychiatriques ce soir, pour ne pas être à nouveau bazardé parmi les fous. Qui se rendrait compte de quelque chose si je disparais pour de bon ? Personne…

- Vous mettez des gars comme moi… En prison… Alors que… De vrais enculés sont libres dans la nature, vous… Vous pensez rendre la ville plus sure en me mettant moi, en prison ? Un trou du cul canadien avec de la drogue sur lui ? Et puis votre rapport… Est vraiment à chier, il doit vous manquer un paquet d’pages…

J’ai témoigné au sujet de la fusillade, j’ai été étiqueté victime sur cette chaise, ou une ressemblante en tout cas. Puis il a tous les délits mineurs concernant la drogue. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est qu’elle n’a pas évoqué mes séjours en psychiatrie ou ma bipolarité, elle se gardait peut-être ça pour plus tard, sous le coude, pour continuer à torturer mon âme. Comment la cruauté peut-elle être si belle ? Avoir ce beau visage…

Je renifle, inspirant douloureusement l’air autour de moi. Mes doigts tentent de tirer sur le métal autour de mes poignets, un contact que je supporte de moins en moins. Me plongeant dans les souvenirs des contentions en psychiatries. Pieds et mains liée au brancard, au lit… Trop dangereux, pour moi-même. Je pourrais me faire tellement de mal à cet instant, j’pourrais me détruire pour arrêter de ressentir. Mais une fois encore, on me force à vivre.

Mon regard balaye nerveusement la pièce avant de se reporter sur elle.

- T-tu parle d’une… Flic… S’acharner sur m-moi… A...A-A… Alors...

J’inspire sans contenir un grognement de souffrance.

- Alors qu’il y a un… Salopard de pédophile dans v-vos cages… En dix minutes j-je… J’aurais trouvé toutes les preuves contre lui… Mais vous êtes là… À me… M’faire chier moi… Qui fais d’mal à p-personne… À part à moi. Qui s’en fou d’moi ? Qui s’en fou….

Mon front est revenu se poser sur la table sans que je puisse m’en retenir. Le froid du métal sur ma peau moite me fait tant de bien.

- J’l’ai entendu se vanter… Ce bâtard… J’le ferais regretter de les avoir touché…

Si seulement j’étais encore capable de penser uniquement dans ma tête, sans verbaliser.

- Ça aurait pu être mon bébé…

Si ce tireur fou ne me l’avait pas volé avant, il lui aurait peut-être fait du mal ce salaud de pédophile. Faut que j’arrête de penser, mais… Si c’était possible, je ne serais pas là ce soir. Le chagrin me submerge, mes poings se serrent, tous mes muscles sont douloureusement crispés, les tensions se multiplie, veulent me tordre de douleur.

Je descend dans les entrailles de ma folie, de ma blessure de cœur à jamais béante.

- Mon bébé…


Je rêve, je cauchemarde tant de le prendre dans mes bras... De l'entendre m'appeler "papa". Je l'ai tant pleuré et ce n'est pas terminé... Ça ne cessera jamais, ce vide.