so it goes / dex

C’est oppressant, le silence. Ça se heurte aux murs, ça comble le vide d’un calme ouaté. Si paisible, mais si bruyant à la fois. D’habitude, c’est réconfortant. On se concentre sur le bruit de l’extérieur, des oiseaux qui volent et fendent les nuages, des voitures qui caressent le bitume de leurs pneus bien gonflés. Puis les passants et leurs conversations qu’on peine à distinguer. Une musique du quotidien qui accompagne le silence. Mais Talia, elle se lasse du silence. S’ennuie de l’agitation. Se perd dans ses pensées, et se morfond, la mine boudeuse, dans son canapé. Parce que les mots se bousculent dans sa tête. Les reproches s’emmêlent et valsent continuellement. Un cauchemar sans fin, comme dans ces stupides films où le héros revit encore et encore la même journée. Du venin déversé sans jamais s’arrêter. Une haine envers sa propre personne. Elle s’en veut, Talia. Elle se rejoue la scène, éternellement, listant inlassablement ce qu’elle aurait pu - dû - mieux faire. La médiocrité n’a pas de place, chez les Jenkins. L’excellence est de mise pour ces ambitieux maladifs. Pour les apparences, pour la gloire et la prospérité. Une façade rondement menée pour épater ce club privé et privilégié d’une classe aisée. Et Talia, elle a été élevée pour y croire, à ces bobards. Bercée dès l’enfance aux douces paroles mièvres teintées par les sourires hypocrites de parents désireux de faire prospérer leurs progénitures. L’amour et la tendresse se transposaient à travers cette fierté brillante dans les prunelles, à travers ces félicitations à demi-mots. Elle a fini par y croire, la gamine, que la vie n’était qu’une succession parfaite de choix et d’actions maîtrisés. Alors elle est devenue parfaite, elle aussi. L’étoile montante sur les planchers de salles toujours plus grandes. Elle voulait s’élever, Talia. Briller, scintiller de mille feux. Devenir celle dont on murmure le nom pour les bonnes raisons. Mais ça n’allait pas assez vite, pour elle. Et peut-être qu’à force de papillonner des cils, de séduire et de charmer pour se frayer un chemin parmi l’excellence, elle en a payé le prix. Ses opales bleues fixent la botte en résine attachée à son pied droit. Un poids mort, qu’elle doit supporter pendant plus de six semaines. Puis ces stupides béquilles, à cause de son genou. Une double punition, pour elle qui ne sait rien faire d’autre que s’épuiser à s’entraîner. La danse en intraveineuse depuis toujours. La sonnerie retentit, c’est péniblement qu’elle se traîne jusqu’à la porte, les béquilles l’aidant dans sa course. La porte relève Dex, et un sourire étire directement le coin de ses lèvres. — J’espère que t’as ramené à manger, qu’elle souffle le ton taquin, en se décalant pour le laisser passer.

☾ so it goes.
quand t’as appris la nouvelle de la grave blessure de talia, t’as le cœur qui s’est un peu serré. c’est ce rêve brisé de ta meilleure amie auquel vous allez devoir faire face maintenant. ensemble, comme la famille que vous avez créé au fil des années. et tu l’admires, talia, t’admires son abnégation quand il s’agit de sa passion pour la danse. mais aujourd’hui que tout s’est arrêté, c’est ton rôle d’être là pour elle. pas ton genre habituellement de te soucier des sentiments des autres, mais quand il s’agit de tes meilleurs amis, tu pourrais presque sentir leur douleur te posséder. et tu sais qu'elle dira peut-être rien, qu'elle se confiera peut-être pas, mais t'as envie d'essayer. t'as envie de la soutenir. du mieux que tu peux. alors tu te mets en route. petit détour par la boulangerie où t’achètes tout ce que tu trouves. de quoi lui redonner le sourire à coup de pâtisseries un peu trop sucrées. et tu te retrouves devant la porte de talia, que t’as si souvent franchi ces dernières années. la main qui se dirige sur la sonnette, l’impatience de la voir qui se fait ressentir dans tout ton être. et c’est le sourire qui vient se loger sur tes lèvres quand elle ouvre la porte. tu jettes un bref regard sur la botte qui prend désormais possession de son pied, les béquilles qu’elle tient fermement pour se déplacer. les gâteaux entre les mains, tu lui désignes la boite d’un signe d’un signe de tête. comme pour lui montrer que tu as pensé à tout.
— tu sais bien que je serai jamais venu les mains vides, c'est pas mon genre.
que tu lui lâches, un grand sourire sur les lèvres. et tu passes la porte, tes pas t’emmenant vers le canapé. tu poses la boite sur la table basse, attendant patiemment que talia te rejoigne dans le salon. et une fois qu’elle s’installe, tu peux remarquer son regard triste. ce regard qu’elle est pas du genre à adopter. t’as envie de l’aider, talia, de lui changer les idées. tu l’as pas revu depuis l’accident, elle doit avoir besoin de souffler.
— comment ça va malgré tout ?
la question est sincère. ça t'importe vraiment de savoir comment elle se sent.

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Les lippes étirées dans un vrai sourire. Une sincérité réservée à ses amis, à cette famille qu’elle a choisi, qu’elle chérit. Les doigts soudés d’une même main, qui la bordent et l’accompagnent à travers les chemins sinueux d’une vie parfois trop dure. Une sévérité imposée par sa propre personne, et l’ambition dévorante d’une passion qui brûle les tripes. — Je crois que je t’aurais laissé sur le pas de la porte, sinon, qu’elle lance, le ton toujours taquin. Elle se décale pour laisser  entrer son meilleur ami, qui s’avance déjà vers le salon. Et Talia, elle essaye de suivre le rythme, les palmes agrippées aux béquilles qui lui servent de soutien. La détermination brillent dans ses prunelles concentrées. C’est l’échine droite, qu’elle pousse vers l’avant. Les frissons de douleur ne tardent pas à la traverser, et la peine se veut lancinante et brisante. Une lame de fer qui remue la plaie. Un rappel constant de ce qui n’est plus, et la voix grave d’un médecin préoccupé lui indiquant de se ménager, qui pulse dans ses tempes. Des paroles qui lui crient d’être prudente, si elle veut pouvoir re-danser un jour. Mais Talia, elle a l’impatience qui vibre dans les veines. Le désir ardent d’accélérer les choses, comme si son corps pouvait guérir par la simple force de son esprit. C’est avec un soupire de douleur qu’elle s’assoit sur le canapé, les bras tendus vers la boite qu’a ramené Dex. — Je sais pas trop, qu’elle avoue dans un haussement d’épaules. — J’ai l’impression que tout mon univers s’est dérobé sous mes pieds. La réalisation trop brutale, trop violente, qu’elle ne sait faire que ça, Talia. Qu’être l’astre scintillant aux pointes parfaites, aux jambes arquées, à la posture infaillible. Que son monde ne résume qu’à la danse, depuis toujours. Qu’elle a perdu son essence, en manquant son porté, en retombant brusquement sur ses appuis. — Mais ça ira, t’en fais pas, qu’elle finit, en découvrant les pâtisseries alléchantes. Un refrain mensonger pour maintenir un semblant de façade. La vulnérabilité effacée au profit d’une bonne humeur qui la caractérise, avec ses meilleurs amis. Talia la gentille, celle qui sourit et qui complimente. L’affection inconditionnelle qu’ils se portent tous est le seul réconfort auquel elle s’accroche, encore et toujours. Alors, elle veut leur épargner les maux qui la rongent, parfois, et préfère soulager ceux qui les tracassent. Une bienveillance rare, qu’elle cultive pour eux, et eux uniquement. Ces privilégiés qui ont chacun une place dans son myocarde frileux, qui se cache et se renferme quand l’amour pointe le bout du nez, quand ce sentiment qu’elle appréhende tant lui chatouille la cage thoracique.

☾ so it goes.
t’as débarqué avec tout ce qu'il fallait pour tenter de lui remonter le moral. une boite de gâteaux entre les mains, ton plus beau sourire étiré sur tes lèvres que tu lui fais quand elle ouvre la porte. et elle est là devant toi, avec une énorme botte venant emprisonner son pied. surement pendant encore de longues semaines. la voir comme ça te brise le cœur, tellement la danse a toujours été toute sa vie. mais au fond de toi, t’as un peu peur pour son avenir. peut-être que c’est bel et bien la fin pour talia. mais t’es pas venu pour lui dire ça aujourd’hui. t’es là pour la soutenir du mieux que tu peux. lui montrer qu’elle peut compter sur toi et ton amitié. lui rappeler qu’elle fait partie des rares pour qui tu pourrais tout donner. comme à ton habitude, tu t’affales dans le canapé, comme si c'était chez toi, après avoir posé la boite sur la table basse. la question est posée et tu sais que la réponse ne sera pas joyeuse à entendre. t’as envie de prendre sa souffrance, de faire comme si rien ne s’était passé. t’as envie qu’elle puisse à nouveau danser. mais t'es impuissant face à la situation. une des rares choses que tu ne pourras pas acheter. la réponse à ta question est hésitante, empreinte de tristesse et d'amertume. mais ça tu t’en doutais.
— en même temps si ton pied est cassé, difficile de pas se dérober.
et tu peux pas t’empêcher de laisser s’échapper un petit rire rempli de nervosité. la blague est mauvaise, comme souvent quand c’est les tiennes. t’as pas l’humour le plus drôle, dex. tu lâches souvent des petits piques sarcastiques, mais la plupart du temps, c’est de bonne guerre.
— désolé, c’est peut-être un peu trop tôt pour les blagues, je vais me taire.
tu baisses les yeux, comme un enfant qu’on viendrait de gronder. quelques secondes que tu passes comme ça, avant de te remettre à rire sincèrement et d’ouvrir la boite de gâteaux. t’as pris tout ce qui existait à la boulangerie.
— tu veux lequel ? ladies first.
que tu lui dis en lui tendant la boite, suivi d'un petit clin d'oeil amical. et elle ne dit pas grand-chose de plus, talia, quand tu lui demandes comment elle va. une petite phrase qu’elle doit réciter à tout le monde, suivie d’un léger sourire triste. le silence semble cacher une douleur plus profonde. en temps normal, t’aurais posé d’autres questions. mais aujourd’hui, tu te dis que tu vas pas insister.
— tu sais qu’on est là hein ?
la seule chose que tu souhaites, dex, c’est qu’elle sache que vous êtes présents pour elle. vous quatre contre le reste du monde. quoi qu’il se passe dans le futur, quoi qu’il arrive par la suite.

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