deja vu (oz)

And your eyes are the only refuge I find
When all the world around us slipped away

le myocarde s’étrangle de ce sentiment d’urgence. le contraint à pousser la machine. l’aiguille qui tourne, monte en flèche. les feux rouges qu’il franchit sans regret. y’a cette voix dans sa tête qui le martèle d’aller plus vite. encore. le pied est lourd, il s’écrase pour la vitesse. fend ces rues peintes par les perles naturelles tombées dans la journée. les astres cachés, y’a que ces ténèbres pour ces âmes condamnées que vous êtes. à l’image des palpitants éteints dans le creux de sa prison osseuse. et il y a lui. lui qui le réveille malgré l’heure du sommeil. lui qui le secoue, le mitraille de par cette importance qu’il ne saurait expliqué. c’est eux. eux contre ce putain de monde désaxé. la misère pour unir. les bercer dans ce coin de bonheur fragile. aussi précieux que rare. presque factice dans cette déchéance des abîmes. il hurle silencieusement le gamin. contre les injustices qui s’abattent. non plus sur lui, son sort auquel il a abdiqué. celui d’oz qui le fout à l’envers. la détresse qu’il a pu lire au fond de son taxi. écrite noir sur blanc, l’écran lui cramant les rétines aux couleurs de gravité. il sait ce qui est en train de se tramer. il sait l’état dans lequel il va le retrouver. aux apparences de déjà vu qu’il reverra encore. rien pour les aider, pour les sortir de cette détresse qui se creuse sous leurs pieds. dès qu’il voit, dès qu’il lit le message, il part. l’orage au fond des tripes pour l’animer jusqu’à lui. y’a cette colère qui ne le quitte pas. ces êtres chers pour qui il se révolte. les exceptions. pour qui il ferait le tour de la terre entière. jusqu’à l’adresse qu’il lui avait donné. s’immobilise un coin plus loin. technique qu’ils ont trouvé. y’a ce besoin viscéral, cette envie dévorante de boire. d’enfiler les bouteilles pour calmer la tempête des inquiétudes. il sort de l’habitacle, les cent pas qu’il multiplie par quatre dans l’attente de le voir. s’allume une cigarette qu’il entame de moitié avant de lui écrire pour confirmer qu’il était bien là. des minutes aux allures d’heures. il s’impatiente le gamin, mais il ne bouge pas. il sait qu’il ne peut pas. des règles non écrites de ce qu’il est possible de faire pour l’aider. il flanche. il compose ce numéro qu’il connait par coeur, peut-être mieux que le sien. à laisser sonner jusqu’au message automatisé. « fais chier… » les mots qui claquent dans un murmure que personne ne pourrait entendre. ne sont pas poésies, ne sont que l’émotion brute qui l’étrangle. il compose, encore. trois fois. « réponds putain. » se met dans un état qu’il regrettera peut-être, il sait qu’il devra se calmer avant de le voir apparaître.

And your eyes are the only refuge I find
When all the world around us slipped away

Nuit odieuse, nuit terrible. Son corps manque d’exploser au fond de sa poitrine. L’enfant en lui hurle et crie dans des vas et viens infinis qui l’épuisent et le détruisent. Longtemps il s’est couché de bonne heure, a fermé les yeux sur ce grand cirque ambulant que composait sa vie. Il se déconnecte du réel en attendant que ça passe, prend des poses qui plaisent en pensant à autre chose. Son corps est acheté, sali et endommagé, c’est un bien d’occasion bradé, qui n’a que trop servi. Ce soir rien n’y fait, ce soir c’est la crise. Un sentiment d’angoisse quitte sa bouche pour descendre le long de sa trachée, lui secoue l’estomac et l’ulcère silencieusement. Une fois la liasse de billets récupérée, la glisser dans la poche arrière de son jean tout juste récupéré, le souffle encore court et les cheveux trempés. Oz ne dit plus rien, pas un mot ni un cri. Pas question d’un geste de plus, ni même d’un sourire offert. Rien n’est gratuit, pas même le plissement de ses lèvres. Puis, sans un, sans la moindre émotion pouvant trahir son trouble, froideur immense, inaccessible, âme barricadée et flegme virile. Saluer les trois types, les inviter à le rappeler - au cas où, au besoin, après tout, c’est un petit pactole qu’il a entre les mains.

Toujours les laisser partir en premier, ne pas risquer qu’ils le suivent, qu’il le percent au delà de ce qu’il veut bien montrer. Seul, dans la chambre de l’hôtel saccagée, ramasser les bribes de la nuit passée. Jeter un oeil à sa montre en se massant le front, revenir à la réalité d’une trotteuse assassine. À l’extérieur c’est l’aube, c’est le soleil robuste. Et lui, créature de la nuit, finalement si petite, recroquevillée. Il allume son téléphone portable, affichant tant d’appels manqués. Puis le nom, celui de l’allié, son complice d’infortune. « J’arrive. » Qu’il lance en décrochant, trouvant la force de quitter la chambre sans un regard en arrière. Rejoindre le taxi, pénétrer à l’avant - client privilégié, compère inhérent. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. « D’solé. » Qu’il lance sans savoir de quoi il s’excuse vraiment, baissant les yeux, comme aveuglé par l’aurore perçant à travers le pare-brise du taco tout juste engagé. « Merci d’être venu m’chercher. » Rien d’autre ne sort. Un Oz harassé, usé, muet.

And your eyes are the only refuge I find
When all the world around us slipped away

a eu le temps de terminer la meurtrière qu’il avait commencé. a eu le temps de prendre siège. d’observer l’ascension de l’astre solaire, a teinté doucement le décor d'une couleur rosée. presque trop beau pour cette ville damnée par la misère de ses êtres. sur le point de compter les secondes qui s’écoulent, à s’assurer qu’on ne s’amuse pas avec le système. qu'on joue avec le temps, retarder le moment fatidique qu’oz apparaitra devant lui. le soulagement qui se fait attendre, se fait désirer pour laisser place à ce tourment poignant quand il s’agit de lui. sursauter lorsqu’il décroche, à ne plus espérer entendre sa voix sur la ligne. ne même pas répondre et raccroche. déjà démarrer la machine pour s’enfuir le plus rapidement possible. s’éloigner des démons rampants, collés à ce motel de fortune accueillant la dépravation des ébats payants. il ose le regarder quand son corps se pose à côté du sien. le gamin détaille les marques invisibles  sur son visage éteint. le souffle sifflant entre ses lippes pincées par la hargne. il se résigne sur la route, la fixe pour s’apaiser alors que le myocarde s’accélère dans une douleur muette. « ne t’excuse pas pour eux, encore moins pour moi. » pourrait venir le chercher tous les soirs, s’il le faudrait. l’insomnie moins douloureuse si elle lui sert. y’a ce lien inexplicable. leur solitude qu’ils vivent mieux à deux. que les autres ne comprendront pas, peut-être. une main quittant le volant, trace son chemin jusque’à lui. s’accapare de ses doigts, à les entrecroiser doucement. geste naturel, n’est pas la première fois et sûrement pas la dernière. il n’y a pas de limites, pas de barrières. il n’y a que cette volonté d’être le baume sur les plaies. être cet instant de répit après la guerre. personne pour voir, personne pour juger. que leur bulle lorsque les portes du taxi se ferment. « nouveau client? » qu’il ose, irwyn. sans brusquer. laissant place à la possibilité de ne pas parler. il ne demande pas les détails. les neurones qui les imaginent déjà. « je te pose chez toi où l’on roule jusqu’à la panne d’essence? »  

And your eyes are the only refuge I find
When all the world around us slipped away

Il monte dans le petit taxi bringuebalant des nuits sans lune. Tous deux savent que lorsqu’il est garé là, c’est que la nuit a été rude. C’est rarement Oz qui demande, c’est le bouclé qui impose une nuit le plus souvent, parce qu’il sait que le gigolo est pas du genre à réclamer. C’est devenu presque tabou à force, ces deux là se parlent sans remuer la bouche. Et lorsque le coeur morcelé il voit apparaître la crinière noisette d’un chauffeur familier, il se retient bien de lui dire à quel point le peu de palpitant qui lui reste se soulève un peu. Irwyn c’est ce genre de rencontre impromptue qui forge les destinées, l’âme du frère manqué qui ne s’éteint vraiment jamais, la chaleur d’une drôle de famille recomposée. Oz pourtant, il est pas vraiment du genre non plus à beaucoup parler. Les mots se meurent sur ses lèvres toujours serrées, refusées, grimées. Au fond, il espère pourtant que l’autre sait. « Ils étaient trois. » Qu’il murmure sans le regarder, honteux au fond, déchiré par l’envie d’exploser et de se taire en même temps. C’est le même dilemme, la même rengaine à chaque fois. « Roulons. » Qu’il ordonne presque solennellement. L’éternel isolé rêve d’une île déserte pour s’enterrer. Le taxi suffira bien pour cette aurore ankylosée. « J’voudrais que tu m’emmènes tu sais. Que tu roules jusqu’à l’horizon sans qu’on ait besoin de se retourner. » Partir avec lui, tout oublier. « On s’inventerait une nouvelle vie, qu’est-ce que t’en dis ? J’pourrais même ouvrir une galerie. » Vivre de rien, peindre jusqu’à tomber de fatigue, rejoindre des plages immenses où le soleil ne s’arrête jamais. Il craindrait peut-être de fondre sous la chaleur de son long corps trop longtemps habitué à la brume et aux nuées, mais il préfèrerait mille fois s’évanouir sur le sable chaud que sur les pavés crasses d’une Exeter trempée. Pourquoi pas après tout, s’en aller mourir dans un pays chaud, disparaître sans rien laisser. Il en est sûr ça, qu’Irwyn serait partant. Mais ce sont deux défaitistes, deux éternels déprimés, leurs plans sur la comète s’effacent dans le sillage d’un pot d’échappement bruyant. Y’a bien qu’Irwyn de toute façon qui continuera à ses cotés à lutter contre le vent.