boulevard of broken dreams

Les sanglots du ciel venaient mouiller le bitume qui gémissait à bas bruit. Sa carcasse enivrée arpentait les pavés désordonnés à coups de talons aiguisés. Brisant le silence d'un pas troublé, elle s'enfonce lentement dans l'obscurité. Une soirée parmi tant d'autres, arrosée de vices et de péchés. A s'enflammer le nez et le gosier de poussières étoilées. A se plonger dans l'abandon, se perdre dans un monde d'illusions. Il n'y avait que ça d'bien. Partir loin et ne plus penser à rien. Alors, elle marche. Sa dépouille se laisse emporter vers l'inconnu, fuyant cette réalité qui ne la lâchait plus. Âme vagabonde.
Le regard brumeux s'arrête sur ce véhicule mal garé. La vision obstruée par toutes les substances absorbées. "Hors service", phares éteints et moteur arrêté. Les pensées s'entremêlent, se bousculent. L'instinct d'un corps esquinté de tumultes. Les membres engourdis de gestes indécis, elle trouve refuge dans l'antre de ce taxi. Epave bercée par le confort incommode de la banquette arrière. « Loin. » Le souffle lourd et l'esprit étourdi. « Emmenez-moi loin. » Murmures exhalés à cet inconnu, faisant fi de l'éventuel danger dans lequel elle s'était jetée. Les pulsions de survie s'étaient endormies, anesthésiées par ses excès de folie. Seul le néant envahissait son âme déchue. Les cendres d'une étoile à jamais perdue.
 

(c) mars.

vroom vroom c parti  

les yeux fermés. il rêve. il imagine des couleurs irréelles. se souvient de l’avant; il oublie l’après. ça tourne dans sa tête et il se sent voler. au-dessus du ciel, au-dessus d’exeter. il n’existe plus, ou au contraire, il revit l’gamin. à se shooter l’eau de vie dans le système, l’éthanol omniprésent dans le sang. se malmener l’âme dans le vice pour ne plus ressentir. il a baissé le dossier du siège pour avoir la vue sur le ciel. l'gamin joue au jeu des grands. il enchaîne les bouteilles ce soir, comme les précédents, les vestiges rampant à ses pieds. pas de clients, ce soir. il ne reste que lui et cette solitude sournoise. à se bercer au son de cette musique nostalgique qui emplie l’habitacle, déconnecté de cette réalité cruelle. et il ne bronche pas lorsque la portière claque. ne réagit pas lorsqu’une voix se fait entendre. il y a ce temps de latence, le silence qui pèse. à laisser apparaître les opales rougies aux travers des éclats des lumières de la rue. il tourne à peine la tête, la lenteur dans le geste dicté par son esprit décalé. « je ne peux pas. le taxi est fermé, le chauffeur a rangé sa casquette. » il délire, l'gosse. se laisse planer dans l’immensité de sa déchéance interne. rictus qui pourrait presque se faire entendre. les lippes étirées dans un sourire tordu par l’alcool. il lève la bouteille qu’il a entre les mains, comme s'il trinquait avec le néant. irwyn expose ce pourquoi il ne peut rouler. pas assez taré pour conduire sous les liqueurs ambrées. « je peux partager par contre. je me sens généreux, ce soir. bienvenue dans l’ivresse express. direction la misère. »
 

(c) mars.

Lever de rideau. Les paupières s'éteignent, laissent place à l'âme en éveil. Une pièce de théâtre, une comédie, la mise en scène d'un univers infini. Les pensées s'évaporent, caressant chaque facette de son être mort. Envolée dans un monde lointain, là où personne ne l'atteindra. En compagnie de la solitude. Seule face au néant, perdu dans ce trou béant. Créature de la nuit, elle se balade dans les tréfonds obscurs de son esprit. Elle se promène sur des routes arcs-en-ciel, à chercher un sens à cette foutue existence. Se défoncer pour rajouter des couleurs à cette vie condamnée. Les mêmes teintes qu'elle sert au gré des crépuscules, à ces âmes damnées aux vies désaturées. Il aurait pu être l'un d'entre eux, il portait sur lui les mêmes yeux. Les prunelles irisées de vices, à travers ce rétro hors service. Le silence qui résonnait entre ces deux êtres en souffrance. Funeste insouciance. Un rictus se dessine sur ses lippes, puis des éclats de rire à s'en tordre les trippes. « L'ivresse express?? La misère?? Mais comment j'suis grave in! Si j'savais qu'il fallait un taxi pour atteindre cette destination de rêve, je serais venue plus tôt!! » Les paroles jaillissent sur un ton amusé, « et vous y allez tous les jours? » Intriguée par l'idée d'évasion, les yeux rivés sur l'horizon. En route vers l'inconnu, sillonner les grandes avenues. Jouer avec le hasard, s'noyer dans l'ivresse de ses pensées le temps d'un soir.
 

(c) mars.

il s’ambiance sous cette mélodie qu’il entend peu souvent. son monde devenu terne, dans les teintes grisâtres jusqu’à son âme. n’a plus l’habitude d’écouter ce chant du rire résonner dans l’habitacle. il n’est que le spectacle du macabre. le silence éternel si ce n’est qu’une conversation à sens unique. qu’une moitié entendue, l’autre en murmure au son robotique qui ne lui est pas destiné. il vit dans l’ombre des autres, irwyn. spectateur de leurs réussites et de leurs drames. il est ce quatrième mur muet, qu’une infime partie de ce décor du néant. mais ce soir, elle est pour lui la symphonie. à émouvoir ses lippes. déformées dans ce sentiment éphémère de bien-être qu’il ait pu créer cette réaction spontanée. ou n’était-ce que les liqueurs qui enjolivaient la réalité. « pas tous les taxis. que le mien, c’est… magique. et pour s’y rendre, il suffit de fermer les yeux. » il s’exécute, chef d’orchestre de ce délire qu’il invente au fil des paroles qui franchissent ses lèvres. il brandit sa bouteille comme l’on agite la baguette. la montée en douceur, le crescendo de grandeurs qui se fait attendre. « et maintenant, il faut penser à toutes ces emmerdes que l’on a eu dans la journée, dans la semaine, le mois. et si on est chanceux comme moi, toutes celles de la dernière année. » bouge ses mains dans une valse lente jusqu’à l’arrêt net. «  et là, on est dans la misère. » les paupières closes laissent place aux verts scintillants sous les lampadaires, les lueurs dorées miroitant sous les astres de cette soirée enchantée. il lui tend la bouteille, un sourire concis pour l’inciter à sombrer dans les péchés avec lui. « on est assez loin pour la demoiselle ? c’est bien là que vous vouliez aller ? besoin d'aide pour penser à vos emmerdes ? »  

 

(c) mars.