coming back to you - love

Le bruit des machines à sous l'agresse lorsqu'il passe devant pour rejoindre le bar, beaucoup plus calme. Duane a bien des défauts - bien des addictions surtout - mais le jeu n'a jamais été un problème pour lui alors que l'attente est anxiogène et qu'il devine dans le geste machinal de l'index sur la machine une façon comme une autre de développer une tendinite. Il a déjà pu lorsqu'il presse le pas jusqu'au comptoir du bar et qu'il s'y installe, quelques billets posés devant lui alors qu'il passe une main dans ses cheveux et sur son visage afin d'en chasser les dernières traces d'alcool, bien décidé à ne pas se faire sortir de l'édifice quelques secondes seulement après y avoir mis les pieds.

Il désire oublier. Oublier les mots qu'a prononcés Trevor quelques jours auparavant dans cette pièce froide immaculée malgré la machine à café. Oublier que sa vie, qu'il croyait ne jamais pouvoir aller plus mal, prenait désormais un nouveau tournant, précipitée par ses excès des derniers mois. Oublier qu'il croyait avoir touché le fond, mais qu'on vient de lui offrir une pelle afin de creuser encore plus loin. Il devrait avoir compris, n'est-ce pas ? Il devrait avoir compris, après avoir perdu sa femme et ses enfants, son travail - qu'il n'a pas réellement perdu, mais c'est tout comme - et sa santé qu'il doit faire attention s'il ne veut pas que tout vole en éclat en une fraction de seconde. Le manque lui brûle les veines et si l'alcool est présentement un baume sur ses blessures, ça ne durera pas. La voilà, sa vérité à lui. Quelque chose de plus fort pour réparer les dommages suscités par ces mots qui sont sortis de la bouche de son ami et qui résonnent encore dans sa tête.

Lorsque ses iris sombres glissent sur la silhouette de la jolie brune, Duane attire rapidement son attention, impatient.

« Je vais prendre la même chose que d'habitude. Juste un scotch. Double. » grogne-t-il suffisamment fort afin de couvrir le bruit de la musique sans qu'elle n'ait à lui demander de répéter deux cent cinquante fois. « Cáel m'a encore foutu dehors du Devil's Den. » lance-t-il abruptement alors qu'il lui a déjà parlé du gardien de sécurité qui fait office de chien de garde au sein de la maison de passe. Le policier croyait d'ailleurs que Rex se montrerait plus empathique à sa situation et se contenterait de lui laisser une chance, mais le blond s'est avéré aussi borné que son collègue, si bien qu'on lui a rapidement montré la porte.

« Et pour une fois, j'ai pas fait grand chose. » ajoute-t-il, de mauvaise humeur, alors qu'il fait glisser les billets dans sa direction. Il s'est probablement un peu impatienté lorsqu'on ne l'a pas servi assez vite, s'est peut-être montré un peu agressif avec l'une des filles, mais rien qui vaille la peine de se faire jeter hors de l'édifice comme un chien galeux. Il avait bel et bien tenté de sortir son badge, les premières fois, mais il avait bien compris que les flics n'étaient pas forcément les bienvenus et avait finalement décidé de dissimuler sa véritable profession afin de ne pas ressentir l'étau se resserrer autour de sa poitrine. « Ça arrive ? » demande-t-il en étirant le cou pour observer ce qu'elle fout derrière le bar à ne pas préparer son verre.

Surpris qu'elle dépose le verre de scotch devant lui quelques secondes seulement après lui avoir demandé d'être patient, Duane l'attrape et en boit une longue gorgée. Il hausse simplement les épaules lorsqu'elle lui reproche son attitude, persuadé que le gardien du Devil's Den y est allé un peu fort et qu'il n'avait qu'à le laisser boire tranquillement pour que le policier ne fasse pas d'histoires. Tout le monde le connait, là-bas, ils savent que l'impatience fait partie de l'un de ses nombreux défauts, mais semblent prendre plaisir à le faire attendre - la paranoïa aura sa peau.

La question de la brune demeure en suspens pendant quelques secondes et le détective hausse à nouveau les épaules, se contente de quelques mots.

« Pas encore assez. »

Un mince sourire étire malgré tout les lèvres de Duane lorsqu'elle le taquine un peu et le détective s'apprête à répondre lorsqu'elle s'éloigne pour servir de nouveaux clients. La jalousie s'installe peu à peu et lui étreint la poitrine alors qu'il aurait aimé l'avoir pour lui tout seul, ce soir-là. Il l'observe alors qu'elle évolue avec aisance derrière le bar et qu'elle offre aux hommes de larges sourires. Duane sait qu'elle ne fait que son travail, qu'elle ne lui doit absolument rien et qu'ici, il n'est qu'un client parmi tant d'autres, mais il a tout de même cette agréable impression de ne pas être exactement comme tous les autres qui se glissent au comptoir du bar pour lui balancer à la gueule des phrases toutes faites. Le flirt qui se dessine entre eux depuis de longs mois maintenant est anodin, mais rassurant.

Il capte son regard à quelques reprises alors qu'elle est pourtant occupée ailleurs, mais le scotch posé devant lui suffit à le faire patienter, même si le verre est désormais presque vide. De toute façon, Duane n'a pas envie qu'on le foute dehors une nouvelle fois - même si ce ne serait définitivement pas la première fois - et se contente de finir son verre d'une traite, les yeux toujours rivés sur la jolie barmaid.

Elle revient enfin vers lui, pousse un nouveau verre dans sa direction, qu'il récupère  sans la quitter des yeux.

« Alors quoi ? » demande-t-il innocemment alors qu'il plonge ses lèvres dans l'alcool et qu'il pose ses coudes sur le comptoir, juste devant elle. « Je te remercie quand même. » ajoute-t-il néanmoins alors que la suite des paroles de la jeune femme lui soutire une grimace. « Il ne se passe rien. » Ses mots sonnent creux sous la dent et Duane prend une nouvelle gorgée de sa boisson, ne serait-ce que pour s'occuper un peu les mains et noyer davantage son esprit déjà si torturé dans la brume alcoolisée.

« Comme ça, t'es forte, hm ? » demande-t-il à son tour alors qu'il fronce un sourcil sceptique et qu'il jauge l'état de ses petits bras. « T'es sûre que c'pas plutôt moi qui devrai te porter si tu finis ton verre ? » la taquine-t-il à son tour alors qu'il désigne la boisson de la brune d'un léger signe du menton.

« Je connais ton prénom, mais je n'en sais pas beaucoup sur toi. Qu'est-ce qu'une femme comme toi peut bien faire dans un endroit pareil ? » l'interroge-t-il, prunelles posées au creux des siennes, soudain curieux.