La parade des ailes éclatées + Nova

Boum.

« Aïe… » Le front de Raven venait de frapper de plein fouet la surface éclaboussée de papier de papiers de son bureau. Elle s’était assoupie sur son poing, assaillie par la fatigue avant que la réalité ne la rappelle brusquement à elle. Le Corbeau croassa de douleur en se frottant la naissance de sa future bosse. Son bureau était jonché de carnets et de feuilles blanches griffonnées ou vivement raturées. Elle observa de ses yeux pâles la chorégraphie de ces formules qui se dessinaient sur le papier comme les portées d’une partition où jonglaient les blanches et les noires, les silences et les soupirs. A force d’avoir cumulé les calculs, elle en avait perdu le compte et tout lui apparut dans un brouillard insondable. Elle se frotta le visage, s’égratigna encore un peu les yeux sur ses gribouillages avant d’abandonner définitivement dans un soupir rompu de fatigue. La jeune femme était épuisée et vérifier l’heure sur son téléphone lui confirma qu’il était grand temps qu’elle rentre chez elle en dépit de toutes ses réticences. Deux heures du matin dans les rues d’Exeter en vélo… Il y en aurait certains qui n’auraient pas aimé qu’elle se mette inutilement en danger. Parce que ses mains, ses formules et son génie faisaient le succès d’une étrange troupe d’Irlandais, même à l’autre bout du monde. Elle envisagea une seconde d’appeler Manus pour lui demander s’il pouvait faire la route avec elle, doutant fortement qu’il dorme à cette heure. Cependant, leur relation ne s’était pas encore apaisée à point de lui formuler une telle requête.

Décidant de prêter une oreille favorable à sa longue série de bâillements, la jeune femme rassembla ses papiers. En dépit de la fatigue, elle prit le temps de ranger avec une rigueur presque maladive l’ordre de ses brouillons, de les enfermer dans ses tiroirs et de sceller à clef le fruit des émulsions de son cerveau. Elle n’était pas particulièrement pressée de rentrer dans cet appartement qui ne lui appartenait pas complètement. D’ailleurs, elle n’y passait guère de temps, noyant ses journées dans le travail. Partant tôt, arrivant tard pour trouver un appartement en pagaille, et parfois, l’épave d’une colocataire dans le décor. Leurs échanges étaient très rares, Raven préférant communiquer par téléphone ou laisser des post-il derrière elle à l’attention de Nova. Ces derniers exprimaient toujours avec maladresse l’inquiétude qu’elle lui portait. Aussi lui laissait-elle souvent des notes comme « Il faut boire de l’eau », « pense à dormir » ou « n’oublie pas de manger », le tout s’accompagnant d’articles alarmant sur les substances qu’elle consommait. Un charabia autour de la chimie que Raven pensait fort compréhensible mais qui ne l’était en rien.

Elle se redressa pour s’accorder quelques étirements avant de récupérer toutes ses affaires et de quitter le laboratoire en veillant à tout verrouiller derrière son passage. Elle enfila son ciré aussi noir que son ramage avant de s’engouffrer au cœur du déluge et d’enfourcher son vélo. Ce fut ainsi qu’elle débarque entièrement trempée et dégoulinante à l’appartement. Elle retira soigneusement ses bottes dans l’entrée afin de pas salir le reste leur habitat et s’affranchit également de son ciré.

Les premières fragrances écorchèrent ses narines dès qu’elle progressa dans l’appartement. Les odeurs étourdissantes des substances de l’abandon et de l’enivrement, la fumée qui gonflait l’air et le parfum capiteux de l’alcool. Raven retint un soupir en tentant de s’imaginer dans quel état elle allait la trouver ce soir. Serait-elle encore en plein trip ou bien le sommeil aurait-il déjà refermé ses bras sur elle ? Faudrait-il la gérer dès ce soir ou en prendre soin demain matin ? Quelquefois, l’image de Nova se superposait à celle de sa mère. Après tout, ce n’était ni plus ni moins que le même manège qu’elle répétait. Comme un conte d’autrefois. Sauf que cette fois, elle ne souhaitait pas en rester prisonnière trop longtemps. « Nova ? » En débarquant dans le salon et en trouvant la jeune fille dans le canapé, le Corbeau n’était pas bien sûr de savoir si le sujet était vivant, pétrifié ou mort. Maladroitement, Raven se tortilla pour enjamber toute la pagaille qui la séparait de sa colocataire. Du bout du doigt, comme si ce contact allait la brûler, elle appuya sur le bras de Nova. « Eh… t’es vivante ? » Elle appuya une seconde fois. « Allez… sois pas morte. » Histoire de pouvoir aller se blottir sous sa couette dans pas trop longtemps.