(! violence) adiam » charogne infâme.

Adèle, il y avait un truc qui s’était détaché, ce soir. Les prunelles écarquillées, le palpitant percé, un poids écrasant sa poitrine et l’impression que la vie la quittait, cette nuit. Rien ne tel ne parvenait, la voilà à laisser un long soupir, Adèle, à se redresser. L’échine moite, des perles humides ruisselant le long du derme transpirant et son reflet, sur ce miroir, en face du cocon immaculé, qui la dégoûtait. La jumelle méprisée, détestée. Prise en grippe. Parfois frapper, pour lui faire payer. À croiser la faucheuse chaque soir, à frôler son rêve d’abandon de l’essence, Adèle, elle désespérait, quand bien même ne se sentait-elle pas encore prête à rendre les armes. Plus rien à sauver, que dalle : un sac vide, troué, qui semait tout sur son passage. Un corps percuté, des bras fébriles essayant de maintenir les organes partant en couilles. Le vide. Intempestif. Indéniable. L’âme déjà abandonnée, des années en arrière, la brune n’était plus qu’une ombre : de celles se mêlant aux artères polluées, ondulantes au milieu de la foule. Aucune attention. Ses mirettes  ne s’attardaient pas sur un point. Non, la carrure faiblarde évoluait, les pulpes charnues juraient lorsqu’une épaule imposante cognait la sienne, mais Adèle, elle baissait le visage, donnant tant d’importance à la pointe de ses chaussures, que cela virerait presque à l’obsession. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, plus rien ne l’importait. Elle n’était que de passage : un de ces fantômes peuplant les maisons abandonnées, créant les plus divines histoires d’épouvante. Un écouteur détaché pour passer une commande, le temps de se délecter d’un verre, cinq, ou dix, elle ne comptait plus. À quoi bon ? Attendant seulement de ne plus penser. De ne plus se torturer. Ne plus revivre cette scène sanguinolente. L’esprit embrumé, les douleurs oubliées, jusqu’à ce que le soleil se lève et baigne la ville de rayons incandescents. Au petit matin, la noirceur s’extirpait et les reliefs cramoisis sur ses veines se relevaient. Les verres balayés et sa carcasse dressée, elle prenait la sortie, laissant l’air glacé réchauffer cette frimousse, dont les joues rouges se mêlaient à l’ivresse ressentie, chaleureuse. Paupières closes, marasme envolé, elle respirait un peu mieux, Adèle, lorsque tout semblait flotter autour d’elle. Semblant de paradis, d’un ailleurs cotonneux. Duveteux. Mais, c’était avant qu’une main se pose sur son épaule, qu’une haleine putride effleure ses narines, que ce parfum de mort lui soulève l’estomac, lui donnant envie de vider le contenu de son estomac. Sur les pieds de cet enculé, dont l’érection effleurait ses fesses. Lui faisant face, Adèle, elle bloquait ses mains, violemment, l’empêchant de la souiller, en dépit de sa réputation. Elle le savait, qu’elle passait pour une fille facile. Toujours plus facile de se faire haïr et mépriser, n’est-ce pas, Adèle ? Plutôt que de prendre le risque de tout perdre. De quelques mouvements, la poupée prenait l’avantage et ce qui aurait pu juste se finir en joute oratoire, se transformait en lutte acharnée. L’homme, déjà faible sur ses appuis, chavirait, sous la violence de ses poings, s’écrasant sur la gueule tuméfiée, sous le choc de ses pieds, éclatant l’enveloppe, sans aucune retenue. Déversement de haine : le sang perlait, coulait, mais elle ne s’arrêtait pas Adèle, penchée au-dessus du corps suffoquant, les mains serrant la gorge, de manière à lui couper la respiration, le tuer à petit feu. Impossible d’échapper à la lueur dans ses prunelles : l’envie de meurtre, le besoin de réduire à néant, dans cette ruelle en cul-de-sac, au milieu des poubelles, dans cette mare de sang. Représentation morbide, digne d’un récit élevant une chair de poule le long des bras. Méconnaissable, Adèle, la gueule baignée de cruor, les astres cachant leurs yeux.

(c) TORTIPOUSS.

L'écho du silence qui rythmait ses nuits. Quand la pénombre s'installait dans les rues d'Exeter, il était encore présent dans les couloirs sombres de son cabinet. Les doigts qui tournaient inlassablement les fiches de ses dossiers, l'esprit vif. Studieux, il appréciait la quiétude de l'endroit déserté; lorsque son frère et sa soeur étaient partis bien avant lui, à la quête du monde de la nuit ou partis retrouver leurs esprits. Il évacuait la pression, celle qu'il maitrisait d'une main de fer du haut de son indifférence méprisante. Il savait Liam, que sa famille comptait sur lui. Qu'il dirigeait chacune des opérations au sein du cabinet ; qu'il conseillait Peter sur le management des sociétés qu'ils possédaient. Il avait tout appris de son père, celui qui lui avait légué le goût de la notoriété et du succès. Il n'y avait pas de place pour le hasard, l'échec. Son ascension était fulgurante, il était reconnu et respecté pour ses qualités d'avocat. A plaider la cause des déchus d'Exeter. Ceux qui avaient trahi, menti, tué et blessé la population par leurs actes désespérés, souvent calculés. Ils étaient les bannis de la société, ceux qu'on maudissait, qu'on tenait pour responsable des maux du monde entier. Il était leur défendeur Liam. Il plaidait leur cause, avec ferveur et conviction. N'avait jamais d'opinions sur les hommes qu'il défendait; s'exécutant simplement de la mission qui lui incombait. Peut-être qu'ils étaient coupables, peut-être qu'ils étaient pourris jusqu'à la moelle; qu'ils n'apporteraient rien d'autre que du chaos; mais il n'en était pas responsable Liam. Il aimait se donner des excuses, simplement pour ne pas entacher sa conscience, dénuée de culpabilité.

La pénombre s'était doucement effacée pour laisser place au petit matin. Il jetait un coup d'oeil à sa montre, se malaxant les paupières avant de quitter son bureau, refermant le cabinet derrière lui. Il n'aurait que quelques heures de sommeil avant de reprendre son travail; mais il était habitué à ce rythme effréné. Il avait besoin de combler ce vide quand il était inactif, cherchant à occuper ses pensées. Il marchait doucement dans la rue, la cigarette accrochée à ses lèvres. Il était l'une des seules âmes errantes dans les rues fraichement éclairée de la ville. Il croisait quelques corps ivre d'ivresse quittant les lieux, titubant mais il n'y prêtait peu d'attention. Il avançait à pas de loup, jetant des oeillades dans les ruelles, toujours sur le qui-vive, prêt à bondir, les vestiges d'un passé violent, les poings habités secrètement par la violence qu'il projetait dans son métier, ou quand la nuit tombait et que personne ne le reconnaissait. Il marchait toujours mais son attention se portait sur ce corps gisant, sur lequel une silhouette se tenait au-dessus. Il s'avançait rapidement, retirant, avec force, le corps frêle qui tentait de tuer l'inconnu au sol, qui perdait doucement conscience. Il la tenait fermement entre ses bras. Il ne dit rien, s'assure qu'elle ait retrouvé ses esprits avant de la relâcher pour tenter de trouver le pouls de l'homme au sol. "Vous avez failli le tuer." Il la reconnait la femme au visage empli de haine. Il l'observe quelques secondes, silencieusement. "Votre but c'est de finir à l'hôpital psychiatrique, comme lui?" Elle comprendrait ce qu'il insinuait Adèle. Il prit un sourire faussement amusé avant de saisir son téléphone, prêt à contacter les urgences. "On va dire qu'il vous a agressé violemment et que vous vous êtes débattue. Je me chargerai de lui, il dira rien." Personne ne dit rien avec les Kerwin, au risque d'en payer les conséquences. Il l'observe, les lèvres pincées, le sommeil qui s'était dissipé, prêt à réagir, l'âme d'avocat jamais très loin.

(c) mars.

Ils étaient si loin, ces jours, où elle dénigrait la violence et ses acteurs. Adèle, installée sur un trône, l’air impérial et l’expression glorieuse, de celle que rien ne pouvait dépasser. Reine des Enfers, à regarder de ses mires azur, le monde courant à sa perte, avant d’être rattrapée par plus maligne qu’elle : la vie, tout simplement. À prendre conscience que la violence n’était pas la solution des plus faibles, mais des plus brisés, bien qu’elle prenait des pincettes, Adèle, n’admettant jamais de vive voix que son existence partait en lambeaux, que plus les jours passaient, plus elle vrillait. Et qu’elle ne comprenait pas comment ni pourquoi elle tenait encore sur ses gambettes, alors que la belle faisait tout pour rejoindre le royaume des morts. Non, elle se demandait bien ce qu’elle faisait encore d’ici, se persuadant que même les inanimés ne voulaient pas de sa carcasse. Désespoir se faufilant dans tout son corps, éveillant chacune de ses névroses : une boucle infinie de malheur, dont la fin ne semblait pas proche. Un dernier souffle fantasmé. Adèle, elle vrillait, souvent, à en juger la manière dont elle cognait cet homme, à éclater son nez sous le poids des poings féroces, sous sa gueule parsemée de cruor. L’adrénaline l’empêchait de ressentir la douleur des phalanges ensanglantées, des coups rendus, lui permettant de voir entre les gouttelettes carmin qui ruisselaient le long de son minois. Putain de divertissement plaisant, savoureux. Elle aurait aimé le tuer, pour aller mieux, Adèle, mais des bras l’en empêchaient, la tirant en arrière. Bien évidemment que la poupée se débattait, en donnant des coups de coudes et de jambes, mais rien n’était facile lorsque l’enveloppe montrait des signes de faiblesse. Comme si la force s’échappait. Comme si l’ivresse se dérobait. À bout de souffle, Adèle lâchait prise, se redressait sur ses gambettes une fois la rage dissipée, rivant ses prunelles sur le visage de Liam. Fallait-il qu’elle le regarde avec haine, de l’avoir coupé en plein amusement, mais aussi parce qu’il animait des émotions diverses en elle. Une dualité que la sulfureuse aurait aimé ne jamais ressentir, de peur de succomber, de lui donner l’avantage. Duel inavoué. Elle tremblait, fébrile, si bien qu’une brise maigrichonne pouvait l’emporter sans grandes difficultés. Elle n’en revenait pas, se détachait totalement de l’homme gémissant au sol, les orbes figées sur l’homme à ses côtés. Celui qui se permettait de plaisanter, celui qui se la jouait vengeur des ombres, alors qu’il n’était qu’un justicier de pacotille. Le poing serré, l’on sentait que sa tête brune ressentait l’envie de lui en coller une, laissant exploser sa fureur, mais Adèle, elle attendait quelques secondes. Juste un peu. Créer la surprise. Un battement de cil avant que son bras plaque le brun contre le mur, que ses mirettes s’ancrent dans les siennes. Maigre ascendance. Les traits tendus, une perle de sang sur les cils et le souffle saccadé, comme lors d’un effort physique trop intense, elle le méprisait, de bon cœur. « T’prends ça à la légère ? » Qu’elle grognait, Adèle, au bras tremblant, à l’enveloppe chancelante. Sa prise, elle, ne durait pas, faiblissait en reculant d’un pas, le laissant tranquille (pour le moment). L’attention déviait sur l’homme désormais redressé qui couinait, essayait de ramper pour s’échapper et le pied de la belle s’écrasait d’un coup sec, brutal, sur son dos, l’aplatissant à même le bitume dégueulasse. Aucun scrupule. Qu’il ne bouge pas, l’anonyme, elle ne le laisserait pas s’en aller. Pas avant que Liam téléphone et prenne sa défense, loin de refuser sa protection maintenant qu’elle prenait conscience de son excès.

(c) TORTIPOUSS.

Adèle, les crocs acéré autour de sa victime. Incapable de lâcher prise, incapable de déserrer son emprise, Liam, spectateur, était désormais acteur. Il agissait par instinct primaire, par la conviction qu'elle tomberait dans un gouffre duquel elle ne sortirait jamais si elle se laissait happer par les ténèbres autant que lui ne l'était. Elle ne connaissait pas les profondeurs de l'obscurité, celles par lesquelles on était facilement séduit mais dans lesquelles on était condamné. L'âme damnée jusqu'à l'éternité ; Adèle elle s'avançait vers ce destin funeste. Il était presque un héros Liam. Contrastant avec l'image qu'elle avait de lui ; le coupable de ses maux, le responsable de sa relaxe alors qu'il n'avait fait que plaider une malade mentale, celle qu'aucun médecin n'avait soupçonné. Il avait plaidé la maladie; quand d'autres criaient à la folie. Et si son choix avait miné des vies, probablement des dizaines, s'il devait plaider à nouveau à son encontre, il rédigerait la même plaidoirie. Parce que c'était son travail, la conviction, la culpabilité étaient des sentiments qu'il ne mêlait jamais. Conscient, mais surement indifférent, face à la peine des victimes, il était de ceux qui se posaient en tyran plutôt qu'en martyr.

Il observait la scène, cherchait déjà, dans son argot juridique, de quoi la sauver des griffes de la justice. Elle n'a pas conscience Adèle, à quel point ce faux pas pouvait lui coûter. Quand la violence prenait le pas sur nos vives émotions, que la colère transcendante, était incontrôlable tellement elle galvanisait chaque membre de notre corps. Cette sensation, Liam, il ne la connaissait que trop bien. A se cacher derrière ses codes juridiques, ses plaidoiries, il refoulait la colère, la violence qui l'habitait. Le rongeait. Mais il était du genre à se voiler la face, comme Adèle ce soir. Quand elle le plaque contre le mur, il reste silencieux. L'observe de son regard dédaigneux, il rit à ses mots. Parce qu'elle semblait ne pas comprendre que celle qui s'était glissée dans un situation compromettante, c'était elle. Il pouvait partir, la laisser elle et ses mains immaculées de sang. Peut-être qu'il pourrait appeler la police, pour satisfaire son appétit vorace de la voir pieds et poings liés. Pourtant, il reste là. "Et toi ? Tu sais ce que t'encours ou tu veux que j't'éclaire ? Il souffle avant de pouvoir  être libéré de ses bras frêles. Il analyse la situation, soupire et compose le numéro de la police, puis de l'ambulance qui arriveraient dans de brefs instants. "Dis-moi ce qui s'est passé exactement avant qu'ils n'arrivent. Peut-être bien que je pourrais t'aider." Il jette un coup d'oeil sur la victime, gisant au sol et peinant à retrouver ses esprits face à la poigne de fer de la belle. Peut-être bien qu'il l'avait sous-estimée Liam. A le croire inoffensive quand elle était une bête acharnée. Peut-être qu'ils ne se ressembleraient plus qu'elle ne l'aurait voulu.

(c) mars.

Effleurer les limites de ses doigts feutrés. Désormais, ensanglantés. Parsemés d’éclats carmin. Le corps prêt à en réduire un autre, même si l’on saisissait sa taille, l’empêchant de se la jouer inquisitrice, exécutrice des sentences. Retenue par un avocat, l’ombre d’elle-même et elle bouillonnait un peu plus, Adèle, même si elle revenait sur terre, quittant pour de bon, le royaume des Enfers. Bon retour sur Terre, à reprendre son souffle et à river ses prunelles de celles de Liam, qui osait, plaisanter sur ce sujet qui la malmenait depuis un nombre incalculable d’années. Le sang ne faisait qu’un tour. Aucun aller-retour possible. Alors, un corps en plaquait un autre, vivifié par l’adrénaline peinant à redescendre. Un rire qui l’enrageait, à se moquer des morts, du sang qu’il avait autant qu’elle sur les mains. Sauf que la raison frappait, la ramenait tout droit à son autre préoccupation : l’homme, mi-mort, sur le bitume. Fallait qu’elle assure ses arrières, sous peine de pourrir derrière les barreaux, Adèle, quand bien même ceci ne la gênerait pas. Fallait bien dire qu’après cinq années enfermée, à ne voir personne, l’enfermement éternel ne lui semblait pas insurmontable. Là-bas, l’on accepterait volontiers de l’achever, à sa place : rendre les armes, rejoindre ceux qui comptaient, une bonne fois pour toute. La voilà bercée de pensées suicidaires, Adèle, lorsqu’elle le relâchait, essuyant les perles cramoisies sur ses paumes. « Il a tenté de me violer. » Et il n’y avait rien qui passait sur son visage, parce qu’elle peinait à redescendre, à quitter le septième ciel, après s’être donnée corps et âme dans cette mise (presque) à mort, où un corps inconnu aurait pu être retrouvé au petit matin. Méconnaissable. Déformé. Bousillé. Personne pour le réclamer. Puis, il y aurait eu, Adèle, sourire aux lèvres, un poids en moins que de savoir ses limites ou plutôt son absence de limites, capable du pire pour aller mieux, se préparant à réduire une seconde vie. Le point de départ de son mal-être, dont la fin l’importait peu. Cet homme ne méritait pas de vivre. Assurément, la brune s’assurerait qu’il ne respire plus, qu’il crève dans d’atroces souffrances, avant de s’en aller, à son tour. Quelle vie d’excès, Adèle. Elle n’aurait jamais pensé finir ainsi, à côtoyer les rangs de la plèbe et des mauvaises graines, ceux qu’elle dénigrait autrefois, du haut de son trône, l’air impérial. « Il a voulu me violer. » Qu’elle répétait en essuyant frénétiquement ses paumes, effacer le sang qui la replongeait, fatalement, en arrière. Dans un passé ensanglanté, un cruor qui ne lui appartenait pas. Comme celui de la famille, longuement serrée sur son cœur, croyant les faire revenir. En vain. « Il voulait… » Et la voix se coupait, comme si elle réalisait, Adèle, que cette scène avait des allures de celle qui la hantait depuis des années. Les mains, s’en venaient, se déposer sur ses tempes, tremblantes, les prunelles teintées d’émotion. Plongeon douloureux. Rappel sanguinolent. « Aide-moi. » Que ses lèvres tremblantes laissaient échapper, comme un supplice, à constater les ravages de sa folie meurtrière. Refusant de s’abaisser à son niveau. Et les mirettes se posaient sur Liam : les fêlures perceptibles au travers le regard océanique. Proche des ruines.

(c) TORTIPOUSS.

Les abysses la guettaient Adèle. Il l'avait perçu dans ses yeux, une détresse, celle qui s'apparentait à celle qu'il ne connaissait que trop bien. Elle ne connaissait pas son monde à lui, Adèle. Côtoyer l'obscurité n'avait rien d'attrayant si ce n'était qu'on s'y habituait. Il n'avait jamais connu les émois, les sentiments, tout ce qui aurait pu le sortir de sa douce torpeur, ce qui aurait pu susciter des tollés dans son esprit étroit. Il ne quitte pas du regard le corps qui gisait au sol. Heureusement, de par les activités illicites d'une partie de sa famille, il savait gérer les situations de crise. Il ne perdait pas son sang-froid, si ses moyens. A croire qu'il côtoyait souvent la violence, les rixes qui se soldaient par des corps inertes. Il savait quoi faire, qui appeler, comme une évidence. Il compose le numéro, prend sa voix la plus naturelle, pour ne pas éveiller des soupçons. Les policiers le connaissaient par ici. Lui et sa capacité à extirper derrière les barreaux les crapules de la pire espèce. Voleurs, bandits, il excellait dans son domaine de spécialisation Liam. Et il n'était pas apprécié au sein de la sphère policière, mais souvent, ils savaient qu'il obtiendrait gain de cause Liam. A coup de vérité larmoyante, un soupçon de mensonges. Il rangeait son téléphone, observant Adèle se tordre presque dans tous les sens. Elle reprenait probablement sa lucidité. Après s'être laissée emportée par sa folie presque meurtrière, elle semblait revenir à la raison. Il fronçait les sourcils à ses mots, alors qu'elle desserrait son emprise autour de ses vêtements. Il fronce les sourcils, sa faible capacité à être compatissant qui le rattrapait. Il garde le silence, la laissant exorciser sa colère, sa tristesse alors qu'il se contente de l'observer, elle et ses réactions inattendues. Il aurait voulu être à cet instant précis, réconfortant. Proposer peut-être une étreinte pour calmer ses soubresauts, ses inquiétudes, son chagrin mais il n'était pas de ces hommes. "D'accord." Il répond simplement, hochant la tête avant de jeter un regard empli de dégoût face à cette ordure qui croupissait. "Tu vas dire la vérité. Qu'il a essayé de te.. violer. Et que tu t'es défendue car il était violent." Il observe les alentours, avant que les secours arrivent, posant une main sur l'épaule d'Adèle, le seul réconfort qu'il pouvait lui apporter. "Ca va aller ? Je resterai là quand ils seront là. T'as le droit de pas répondre." En mettant en exergue le traumatisme, elle pourrait s'en sortir Adèle. Liam à ses côtés, elle échapperait aux portes de l'enfer.

(c) mars.

Et peut-être que la raison revenait, à petites enjambées. Loin de se presser, de se précipiter, la voilà à prendre le temps d’arriver, désirée, que l’on l’appellerait. Attendue comme la case 24 d’un calendrier. Comme un anniversaire, rempli de cadeaux. Le ciel dans ses songes commençait à se dégager, à la manière après une épisode orageux, où l’univers reprenait sa place de dirigeant. Impuissant face aux lois naturelles et aux caprices météorologiques, Adèle, elle assistait au brouillard se dissipant, à la foudre s’éloignant. Laisser place à un ciel azuré, finement nuageux, face à la voûte obscurcie, qu’incarnaient sa boîte crânienne. Les mirettes colériques laissaient place à des prunelles larmoyantes, prenant conscience du monde gravitant autour. Du sang ruisselant de ses phalanges. De ces gémissements chatouillant son ouïe. De ces douleurs, galvanisant son essence meurtrie. Les limites franchies, une colère ayant pris le contrôle de tout cet être vulnérable. Lorsque la tristesse ne s’agitait pas dans un coin, il y avait les passages enragés, où ses poings cognaient jusqu’à ce qu’un brin du lucidité la heurte. De ces combats de rue, où la sortie se faisait uniquement si elle triomphait. Ces élans d’ivresse cramoisi lui permettaient de s’évader, au lieu de se tailler… Et de se tailler, jusqu’à n’en plus pouvoir. Les veines des poignets affichaient leurs plus beaux reliefs. Une chair malmenée, triturée, si bien que la douleur ne lui faisait même plus de bien. Comme si le derme s’était anesthésié, face à la frénésie du fantôme. Un simulacre, peinant à renouer avec la réalité. Aux prunelles voilées d’émotion et d’incompréhension, puisqu’elle n’en était jamais venue jusqu’à ce point. Encore un peu et le point de non-retour serait atteint : c’était pour cette raison qu’elle ôtait sa semelle salie de détritus et de cruor du dos de l’homme. L’implorant d’arrêter, qu’il était désolé, tandis qu’elle se justifiait (elle tentait) auprès de Liam. Lui demandant de l’aide, mettant de côté ce flot d’émotion contrasté qu’il animait en son être. Une lutte à ciel ouvert de sentiments, naviguant entre le cœur et la raison. Un métier versus la vie. Et elle en soupirait longuement, venant à frissonner de dégoût quand il osait la toucher, d’une main fausse sur son épaule chétive. « Ne me touche pas. » Qu’elle prévenait en se dégageant d’un mouvement, Adèle, aux prunelles furieuses et désemparées. Ce n’était pas de lui qu’elle espérait du soutien et pourtant, il s’agissait bien de ses côtés auxquels elle trônait, face aux policiers arrivant sur les lieux du crime. Et voici que le récit débutait, que les notes étaient prises, que ses plaies étaient soignées, face à l’homme embarqué sur un brancard. En si mauvais état qu’il ne pouvait pas tenir sur ses jambes. Qu’il défile sous ses yeux, Adèle n’en avait plus rien à faire. Absente, l’essence envolée de son cœur, lorsque tout ce beau monde défilait, prenait la route en sens inverse. Tout ceci lui rappelait bien trop ce souvenir, qu’elle tentait d’occulter. De condamner à tout jamais. En vain. À la place, quelques perles d’émotion naissaient aux coins, qu’elle essuyait d’un revers de manche. « Viens. » Qu’elle murmurait à Liam, en direction du logement occupé par la belle. Un trajet silencieux, durant lequel seul le bruit de ses talons sonnaient. Claquant le bitume, le martelant, jusqu’à trouver refuge sur le canapé de son salon. Malaise palpable, agir comme un robot. Sans un mot. Gestuelle mécanique. Et voilà qu’elle se baissait, suffisamment pour déposer son visage sur les cuisses de Liam. S’échouant. Le corps allongé. Le vide rendu attractif à ses yeux. L’esprit ailleurs. Attendant un brin de réconfort. Ou pas. Juste… Une présence. Qu’importe laquelle. S’évader. Un peu.

(c) TORTIPOUSS.

Adèle et ses maux criants qu’elle avait déversés sur ce corps recroquevillé. Inerte sur le bitume, il n’entendait que des gémissements de souffrance de l’inconnu. Il l’observait presque avec indifférence, habitué aux corps jonchant le sol, les poings trop souvent ensanglantés, l’auteur des rixes qu’il provoquait habilement, du haut de ses manipulations exacerbées. Il est incapable de la réconforter quand elle semble flancher, réalisant à peine la scène macabre qui s’était jouée et dont elle en était la principale actrice. Il ne dit rien Liam, non par pudeur, ni même par compréhension, s’effaçant simplement dans son éternelle indifférence face aux sentiments des autres. Il aurait pu être en colère, se laisser guider par son impulsivité, débiter un flot d’insultes à l’encontre de l’agresseur, le frapper, un peu plus fort de ses phalanges si souvent éclatées et épousant parfaitement les formes des visages les plus viles. Mais Liam, les traits absents, il reste planté là, à attendre qu’elle retrouve ses esprits. Elle refuse son contact, presque menaçante alors il se recule à nouveau. Attend les renforts mais contre toute attente, elle l’attire loin de la scène. Le guide dans son appartement. Il reste silencieux, incapable de comprendre ses actions probablement guidées par ses émois. Il s’exécute simplement, se demande bien à quoi elle pensait en l’attirant ici. Quand il s’installe sur le canapé et qu’elle dépose son visage sur ses jambes, il ne dit rien Liam, mais ne parvient pas à se contenter de cette proximité inhabituelle. Il finit par se redresser, la repoussant légèrement. Peu à l’aise dans un rôle qui ne lui convenait pas, incapable de jouer un rôle qui ne lui ressemblait pas. " Je dois retourner là-bas, j’vais avoir des trucs à régler. Je m’occupe de tout. " Il se racle la gorge, ne cherchant pas à la blesser, mais incapable d’être celui dont elle avait besoin. "Je t’appelle pour te tenir au courant." Il s’éloigne, un geste de tête pour la saluer, regagnant sa stature d’avocat, prêt à défendre la belle Adèle des griffes acérées de son agresseur.