((melchiade)) i'm the next act

I am a moth
Who just wants to share your light
I'm just an insect
Trying to get out of the night

T'as le cœur envahi d'émotions contraires et subtiles, de ces papillons qui trônent au fond de ton bas-ventre, qui s'éparpillent, se cognent de leurs ailes timides sur les plafonds humides de ton espoir, et ce casino que tu regardes de tes yeux d'enfant, étoiles plein les iris, réverbérations fugaces des lumières bariolées de ton antre, de ton gouffre, de ce néant que tu as façonné de tes doigts d'être damné.
Tu ne saurais qualifier ce bonheur qui t'assaille de part en part lorsque chaque soir tu ouvres les portes de ton enfer, de cet univers machiavélique dans lequel tu te meus comme un lion dans sa savane, couronne métaphorique au dessus de ta chevelure d'ange, symbolisée par ton costume trois pièces qui t'ancre comme le roi du lieu. Et sur ton passage, des regards appuyés, des chuchotements valorisants, des "c'est lui, le gérant, le boss, le patron", et tous ses mots effacent peu à peu les reproches assénées toute ton enfance, bien qu'il en faille encore un univers pour que toutes tes failles ne trouvent médication. Cette enfance auréolée de la galaxie des Fury, mais derrière l'apparat de l'or sonnant et trébuchant, les brèches humaines d'un homme détruit qui t'ont peu à peu couvert de bleus, d'ecchymoses et - pire encore, de noirceur d'âme, de cette damnation qui aujourd'hui te pourchasse jusque dans tes nuits, cauchemars éphémères aux répercutions pérennes.

Tu déambules, erre sereinement dans ton repaire, cet univers à ton image, cette copie conforme de tes failles et de ton essence, le plus profond de toi-même dans chacune de ces machines à sou hurlantes et dans le moindre éclat pailleté jonchant le sol. Le regard qui vacille, à l'affut, à l'écoute de la moindre alerte, de la moindre poussière venue déranger la superbe rythmique bien orchestrée de ton chef d'œuvre.
Et c'est vers sa silhouette que ton regard s'arrête, alerte. Adossé au comptoir, il ne dit mot à quiconque, ne se tourne vers nul homme, n'a le regard qu'évanoui dans le fond de son verre de whisky, perdu dans la contemplation que tu estimes être celle de l'artiste, le vrai, celui que tu ne sais être tant tu ne sais épouser les formes de ta guitare et te perdre dans cette contemplation poétique. Tu l'admires, ce Leblanc, ce français étrange à l'accent chantant, tu ne saurais dire quels sentiments t'assaillent lorsque tu t'adresses à lui, mais il y a quelque chose de nouveau, en toi, une once de respect, un désir de se perdre en lui, de se noyer dans ses paroles - si rares, si fugaces, mais percutantes, de ces étoiles filantes dans les yeux d'un enfant innocent et crédule.
Tu ignores si tu dois t'en approcher, oser entrer dans sa sphère d'intimité, et les questions bourdonnent dans ton esprit incertain. Tu ne peux toutefois quitter du regard cette silhouette étrangère, ces contours poétiques, d'un flou prophétique, cette ombre que tu rêves d'apprivoiser, de comprendre, de copier. Il fait naître en toi, sans rien faire pour cela, une forme de respect teintée de jalousie, de ces sentiments nocifs et maladifs qui incitent à se laisser manipuler, dominer, et tu rêves qu'il repeigne de son crayon inspiré les contours peu sûrs de ton âme désolée.

La terreur te tord le ventre, mais ta décision est prise. Tes pas ne sont pas assurés, et tu te découvres une faille que jusqu'alors tu n'avais pas expérimenté - la peur qui te broie tout entier comme un enfant dans la nuit noire craint le monstre sous le lit, cette peur qui te fait ravaler ton arrogance et ta superbe, et te rabaisse à un statut inférieur. Car face à lui, tu redeviens tout petit, et tes paroles, elles aussi, subissent cet avilissement. A en croire un bégaiement. « Bonsoir Melchiade, puis-je vous offrir un verre ? » Ridicule, la même soupe que pour les autres femmes que tu tentes d'avilir sous tes pêchés. Tu te sens honteux, et peu à peu, le rouge te monte aux joues. « Vous songez à votre prochain livre ? » Et ton regard qui rencontre le sien, et ton regard qui ne peut le supporter, qui vacille, chancèle, perd l'équilibre. Tu te sens dépucelé, edwin, dépucelé du mot "respect", de cette gène et de cette superbe qui t'a abandonné, te délestant entre les mains malléables de la timidité. Il ne reste de toi qu'une pâle version, fascinée par l'orphée qui te fait face.

Roi de l'azur, couronne céruléenne sur tes cheveux vénitiens, tu as toujours été tout en haut de l'affiche - le monde social en tout cas t'as toujours ainsi connu, sans jamais deviner, discerner dans ton regard dévasté les avilissements qui étaient tiens dans le joug de l'intimité. Car oh combien l'on t'a rabaissé, Edwin, dans le faste de tes cuillers argentées, oh combien l'on t'a humilié, couvert d'ecchymoses bleutées sur ton corps juvénile, et oh combien tes iris désormais se parent de ce voile sacré, mystère et silence dans tes nuits d'insolence. Aujourd'hui, tu jouxtes le soleil, de ton trône effervescent aux teintes dorées, sceptre sur le côté, toujours, et tu n'as de respect que pour toi-même, que pour avoir survécu aux affres de ta destinée. Les hommes d'en-haut, ceux que tu côtoies, ils te laissent froid, Edwin, comme tu sais que flirter avec le ciel n'est donné qu'à de rares merveilles nées dans ce pourtour mordoré. Lui, par contre, l'homme au comptoir, la silhouette blafarde, elle a le mérite de s'être faite seule, et d'avoir gravi les échelons pas à pas, plume après plume, les mots greffant son escalier de fer, plus solide que ton trône qui demain peut-être chancèlera et vacillera.
Tu respectes davantage l'ardeur au travail, celle que tu as eu à mettre de tes doigts effacées alors que père t'incendiait de ses reproches "tu ne feras rien de cet héritage, toi, l'enfant infécond, tu vas le faire sombrer dans les gouffres du néant, et cela te prouvera à quel point tu ne vaux rien". et l'inconfiance du père à son petit, celui qu'il jette du haut du nid, que tu as su transformer en arrogance, pour redonner vie à ce casino qui aujourd'hui éclate de mille feux et de ses joyaux sophistiqués. Ce sont tes mains, qui l'ont crée, tes mains seules, sans aide extérieure, et cette fierté que tu en tires, ce désir de le renvoyer à la gueule du père, cela t'éloigne de tes pairs, de ceux qui n'ont jamais eu à déchirer leur langue affutée dans le travail de précision.
Ce puzzle dévasté, tu l'as reconstruit, reconstitué de tes doigts de fée, pygmalion du black bird à l'âme damnée.

L'écrivain, tu l'admires, de ce vrai regard que peut-être tu n'as jamais octroyé à quiconque avant lui, de cet éblouissement enfantin devant un livre magique, plaçant en lui tous tes espoirs d'art et d'inspiration, et tu crois voir les muses qui se pavanent à ses côtés, ces inspirations multiples qui font mouvoir sa plume de conteur. Tu as sur lui le regard de l'esthète, celui - étoilé - du sincère admirateur.
Tu t'installes à ses côtés après qu'il t'y ait invité. Tu n'as pas les gestes sûrs, Edwin, tu te perds en conjectures dans ton esprit, inquiet de ne pas être à la hauteur, dans cette crainte impérieuse de décevoir ses ardeurs. Car lui aussi semble avoir des étoiles dans les iris, semble partager cette forme d'admiration secrète et mutique qui virevolte entre vos deux regards conjugués. Tu appelles le serveur d'un geste, lui redemandant la même chose en double, afin de partager ce fameux verre en sa compagnie, afin de perdre ta peur dans les gouttelettes ambrées qui réchaufferont ta gorge et te redonneront peut-être un peu de ta splendeur d'antan.
Le serveur partage ton inquiétude, de voir le roi ainsi quémander son verre, et tu devines dans les tressautements de sa main son inquiétude de te décevoir. Cela t'aurait amusé, dans un instant passé, ton regard désormais ne s'y perd que quelques secondes, avant de revenir au sujet de ton désir.
On lui a fait faux bond, glisse-t-il à ton attention. Tu ne réponds rien, impatient de savoir quels autres mots vont glisser dans sa voix satinée. Et comment allez-vous ? Toute une machine à faire tourner n'est-ce pas. un nouveau regard que tu perds autour de toi, admirant les machines à sou criantes, la table de poker et ses joueurs effrontés, aux regards rieurs et secrets, de ceux que l'on tente de bluffer dans le néon des couleurs luminescentes. Ton bébé, là, tout autour de toi, cette panacée méphistophélique que tu balayes d'iris envoûtées, obsédées, tant tu ne songes qu'au black bird dans tes jours éthérées et tes nuits mouvementées. Tu te dis un instant qu'il est là le sujet de tes passions, celui qui peut-être t'auréolera de mystère et de réussite auprès de ton invité - le moyen servi sur un plateau d'argent d'impressionner l'homme qui t'éblouit tant. « Oui, toute une machine bien huilée, bien rôdée. Je ne cache pas ma fierté lorsque je peux ouvrir ses grandes portes boisées. C'est un univers à part, un ailleurs au cœur d'exeter. » Et tu t'imagines le prochain grand roman de Leblanc prendre place au sein de ton néant - étoiles papillonnant dans tes iris envoûtées, de ce désir, à peine voilé.
« Peut-être pourrez-vous y trouver quelques inspirations. » Que tu glisses, invitation aux voyages et aux délices. « J'ai entendu dire que vous n'aviez pas votre pareil pour bluffer au poker. Il faut croire que l'art se niche partout. »
Et ton œil d'esthète qui se perd sur ton convive, de l'imagination débordante en vagues dans ton esprit maladif.

Il est des soirs où deux divinités échangent le nectar d'olympie, se complaisent dans quelques regards entendus, se perdent en étranges compromis. Il est des nuits où les lueurs de voix agiles se perdent dans les gouttelettes amères du vin austère.
Et puis le temps qui s'arrête. L'horloge capricieuse perd le son assourdissant des tic, tac, tic, tac, plus rien ne bouge, pas même les secondes terribles et mortifères. Le temps s'arrête dans ces regards qui se figent l'un dans l'autre, dans l'attente de ce que donnera l'union de leurs êtres étranges, moribonds, peu faits pour cet univers si morne et austère. L'un est l'homme du lointain, de l'imaginaire et de l'encre étalée sur une feuille assoiffée ; l'autre le dieu des pièces sonnantes et trébuchantes, des néons phosphorescentes, la divinité des âmes viciées au comble de la nuit étoilée.
Le jour n'est pas pour vous, le soleil vous effraie. Vous voilà vampires de l'au-delà, moitié morts, surtout spectraux. La nuit est votre aura, le jour, votre tombeau.

Tu te perds dans ce regard poétique qui se vrille dans ton âme damnée. Il exerce sur toi une pression que tu ne t'imagines pas, que tu ne comprends pas, qui ne s'explique pas. Tu ne souhaites même pas - d'ailleurs -- déchiffrer le mystère qui entoure cette aura ; elle a ce cachet de l'inconnu, ce goût de l'autrefois qui te sort subrepticement de ta douce routine. Il y a cet homme qui attise autre chose, loin, très loin des relations moroses qui d'habitude hantent tes jours - entre hommes insipides et femmes avides, de ces seins mordillées aux poings dans la gueule.
Le voilà différent, celui qui parle de tes mains. Tu n'éprouves pour lui ni la rage jalouse des hommes de ton rang, ni le désir palpitant devant les courbes érotiques.
Tu trinques avec lui, le regard vrillé dans le sien, incapable de baisser les yeux ou de les détourner, tant ils sont happés par ces iris multicolores. Elles te semblent se teinter de couleurs superbes à mesure que les néons s'y réverbèrent. Miroirs aux éclats angéliques. Je serais ravi de m'attarder davantage derrière les portes du Black Bird. J'y écrirais mes prochains versets, mes prochains crimes, mes prochaines révoltes. Ton bébé, lumière de son inspiration. Ce lien qui t'unit au black bird ainsi déchiffré, dévoilé, dans sa superbe intimité. Il semble que cet étranger pénètre en ton âme et y dépose son odeur spectrale. Et le clou du spectacle, la fin de l'érosion qui se produit en ton sein. Peut-être même le portrait d'un conquérant aux yeux bleus. Cette fascination, a-t-elle un nom ?
Cette fulgurance flamboyante aux cendres enivrantes se nomme-t-elle, ou bien perdrait-elle ainsi cette arrogante ivresse ?
Il possède ton âme guerrière en te périphrasant conquérant. Il t'amène en d'autres contrées, d'autres temps, sur un champ de bataille, larmes de sang.

Il s'approche, l'étranger. Il s'approche et pas un instant tu n'as l'envie de reculer. Il y a cette connexion inexplicable, inexpliquée, silencieuse et totale. « J'ai toujours vu ce black bird comme un théâtre. Chaque soir, lever de rideau. Je le lèverai pour vous, à l'occasion, et vous mènerai à ma suite découvrir ses coulisses et ses mystères. » Tu perds la voix en quelques gorgées d'alcool qui réchauffent ta gorge d'une chaleur embrasée. Le foyer qui désormais prend vie en ton âme ne saurait plus s'éteindre, ce soir. Il est sans cesse alimenté par ce regard qui se perd dans le tien.
« Je ne peux faire de tort à l'art. » Et puis, sa voix qui retentit à nouveau, celle à laquelle tu te pends de tout ton poids. J'aimerais pouvoir faire connaissance avec ce conquérant, au-delà de son royaume. Tes prunelles s'assombrissent. Tu as cette fierté au fond du coeur dès lors que tu foules les marches de ton black bird. Sans lui, tu n'es plus rien. Sans lui, ton château intérieur s'effondre et n'offre aux yeux qu'un paysage désolation, ruines et néant obscur. Le chao dans ton cœur d'enfant mort trop tôt. « Le conquérant n'est que peu de choses, au-delà de son black bird. » Et lui. Est-il dans son intimité aussi fascinant que cette nuit ? A-t-il ancré en lui cette aura féerique qui fait briller ton cœur d'une passion inassouvie ?