aux sombres héros de l'amer. -- edwin

-- aux sombres héros de l'amer.

Morton s'agace, entre deux verres et le son des machines à sous. Les gains qu'il gagne lui semblent trop peu et l'incitent à recommencer, persuadé que le prochain tour lui ramènera le gros lot qu'il dépensera la minute d'après au poker. Sa vie n'est plus qu'un alcool hautement inflammable. La moindre étincelle le fait partir en fumée et Morton a cette fâcheuse tendance de craquer l'allumette.
Les poches vides, malgré son état d'ébriété, l'homme possède quelques réflexes. Lorsque sa vieille carcasse se redresse pour rejoindre le bar, parfaitement lisse et bien habillé -rare vision de lui-, Morton sait d'une analyse brève quel imbécile sera suffisamment attendri par son pseudo charme pour lui offrir un verre.
Le visage fermé, l'intensité de son regard bleuté s'accentue, attaché à ses traits blasés. Seule source de vie sur ce spectre qu'est Trevor. Son âme, réduite à deux cercles d'aigue-marine enivrants et agressifs. Le reste n'est que poussière.

Ses pupilles s'ancrent dans celles plus sombres d'un souvenir. Edwin. Son corps se tend instinctivement, guidé par de vieilles émotions remontant doucement à la surface. -- Quelle surprise. Carence d'enthousiasme, sa voix n'a pas le timbre qu'il aurait préféré lui offrir. Morton n'est plus capable de jauger correctement son amertume et celle-ci transparaît dans chacun de ses regards, gestes ou mots. Il en est imbibé, condamné à endurer son propre venin. Il avait probablement aimé partager une nuit avec Fury comme on aime coucher en sachant qu'il n'y aura pas de lendemain. Le futur donne trop de profondeur au présent pour que Trevor puisse l'apprécier. Le revoir dans ses songes est une habitude à laquelle il s'était faite. Dix ans les sépare et si les corps se souviennent de tout dans les moindres détails, le revoir même sous le fruit du hasard irrite l'animal au regard océanique. Plus froid et impulsif qu'autrefois, la présence d'Edwin est un rappel de ses erreurs passées. Si elles semblaient autrefois insignifiantes, la mort de Solal met en lumière la lâcheté de Morton et ses instabilités émotionnelles. Tandis qu'il le dévisage tout en maintenant un corps gorgé d'alcool et de sarcasme, Morton se rapproche d'un pas tout en se referment sur lui-même. L'art de brouiller les pistes et ne plus écouter ce que l'âme désire. Les lumières du casino lui semblent fades, comparables à de vieux néons qui rendraient la peau de son visage blafarde et le déposséderaient de ses nombreux boucliers. L'hostilité que dégage Edwin à son encontre est une brûlure à laquelle l'homme se raccroche. Lui cracher au visage toute son agressivité est le meilleur moyen de le garder auprès de soi. Les injures et la violence brouillent tout. Lorsque Servan exulte sa haine, Morton se sent comme une boule de neige que l'on remuerait frénétiquement. Ses sentiments n'ont plus la moindre valeur. Tombent alors sur ses longs cils d'invisibles poussières portant l'oubli. -- Tu m'offres un verre ? Juste un verre. Il avait senti qu'Edwin n'était pas en paix avec lui-même. Il avait assimilé, à la saveur de sa peau, à cette façon qu'il avait de le regarder, à l'ampleur de leur abandon qu'ils finiraient inévitablement par se haïr. La vie avait pris soin de les séparer dans cette optique de les préserver mais le destin avait finalement décidé de les confronter.
Rien n'arrive par hasard et le parfum d'Edwin est comparable à un vieux pansement usé.
Il voudrait être le Trevor de dix ans plus tôt mais même s'il essayait, plus rien n'aurait la même saveur.
Dans ses souvenirs, Edwin était un garçon au charme inimitable. Maintenant que la nostalgie est rompue par la réalité, l'homme ne lui semble plus si beau que dans ses rêves. A moins que Morton ne soit juste de mauvaise foi, vexé d'avoir si mal vieilli.

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-- aux sombres héros de l'amer. @Edwin Fury

Et puis le temps passe, esquinte tout sur son passage, grossier et colérique. La voix d'Edwin est différente elle aussi. C'est comme regarder le passé à travers un verre déformé, toutes les visions incrustées dans la tête de Morton sont enjolivées d'un sortilège. La réalité secoue Morton étrangement. Le malaise latent dans la voix de l'homme donne une couleur sombre à la suite. Lorsqu'il le suit, Trevor n'espère rien. L'avantage des âmes qui ne croient plus en quoi que ce soit. Dénué de foi, que Fury se comporte comme un salaud est une suite logique. S'il était un de ces gamins en mal d'amour, peut-être aurait-il été blessé ou même déçu mais il n'en est rien. Le Black Bird est son royaume. Une part de lui le savait en rentrant mais il avait préféré le nier, mettant au passage tout sur le dos de l'alcool. La bouteille, un moyen facile de se dédouaner de tout et d'être irresponsable à souhait. Autrefois, son excuse était de boire pour décompresser. Solal l'aidait à cette époque à ne pas se  ruiner trop vite, oubliait volontairement d'acheter des recharges mais maintenant que le garde fou n'est plus, ne reste là que la folie, pure et simple. Un rire quasi muet quitte ses narines à la remarque d'Edwin. Le voir se conduire tel un mâle à l'ego surdimensionné dans son empire du fric lui décroche un sentiment d'exaspération. Peut-être en fait-il frétiller quelques unes par son allure si bien maîtrisée de roi bouffé jusqu'à la moelle d'arrogance. -- J'apprécie l'attention mais crois-moi, si j'ai besoin d'une leçon de conduite, j'ai encore ma mère pour ça. Celle qu'il ne va jamais voir comme le reste de sa famille. Morton le fantôme encore vivant, la peau sur les os, la vieillesse venue toquer à sa porte dans quelques litres d'alcool qu'il s'enfile pour enlaidir l'enveloppe et affaiblir ce qu'elle renferme.

Edwin rappelle à Trevor comme l'addiction a toujours plané au dessus de lui. Épée de damoclès prête à lui tomber sur la tronche au moindre faux pas. Une part de lui se dit parfois qu'il aurait dû commencer plus tôt. S'il avait su qu'il perdrait tout si facilement alors, l'homme n'aurait pas fait l'effort de se maintenir à flots.
Dix ans.
La voix de Fury donne plus de profondeur à la réalité. Qu'est-il devenu en dix ans ? Qu'ont-ils laissé cette nuit là ? L'un contre l'autre, ce n'était qu'une connerie. Ils le savaient et c'est aussi ce qui avait rendu l'instant plus intense. Savoir que l'on va se brûler mais poser quand même sa main contre la flamme avait été jouissif. Un instant de transe totale pour des années de remords. Solal et lui auraient pu se briser à tout jamais suite à cet écart mais Trevor avait pris le risque, animé par un besoin d'autodestruction qu'il ne contrôlait déjà pas. Faut croire que t'as pas changé … Il sent là une sorte de pique, une animosité bien contrôlée contre laquelle Morton ne peut se rebiffer et à laquelle il répond d'un sarcasme réconfortant. -- Je te retourne pas le compliment. Car lui a changé, d'une évidence qui lui saute au visage. Lorsque les portes du casino se ferment derrière eux, quelques clients vont et viennent à leur guise, accordant sur leur passage un regard empli de respect au maître des lieux. -- Pas la peine d'être si constipé. Je vais pas te sauter au cou. Un pied dehors que Morton cherche déjà dans ses poches son paquet de clopes, n'en propose pas une au fantôme qu'il a sous les yeux. -- Mais si t'en fais trop, là oui, ce sera louche. Trevor ne réalise pas qu'il se frotte à bien plus grand que lui. Si son attitude semble provocante, il ne se sent en réalité connecté à rien, détaché. L'ancien Morton lui cause un peu. Dans sa tête, les souvenirs d'Edwin renaissent lentement.
Ils lui donnent la sensation de venir d'une autre vie.
Un monde souterrain qu'il avaient creusé ensemble et qui n'appartenaient qu'à eux jusqu'au moment où ils l'avaient laissé tomber et prendre la poussière.
A présent que les portes de cet univers s'ouvrent à nouveau, l'echo de leur secret est palpable. La moindre vibration trop forte pourrait déclencher un séisme.
Trevor n'était qu'une expérience, l'avait su dés l'instant où Edwin avait posé un regard sur lui. Une expérience malmenée, semblable à l'un des monstres de frankestein que jamais il ne saurait assumer.

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-- aux sombres héros de l'amer. @Edwin Fury

Il est à deux doigts d'avoir de la peine pour Edwin. Non pas pour ce qu'il est devenu et ce qu'il représente mais pour ce qu'il doit encaisser. Morton réagirait probablement plus mal que lui si on lui rappelait que l'homme avec qui il avait fait un écart n'est qu'un pauvre alcoolique trop névrosé pour reprendre sa vie en main.
Il aurait honte, se demanderait pourquoi mais aussi comment ? Edwin devait être aussi éméché que lui à l'époque. Mais l'alcool n'est plus une raison suffisante de nos jours pour lui faire endosser nos erreurs. Elle fait ressortir le vrai. C'est pour ça que Morton se saoule la  gueule à longueur de temps ; ivre, il ne peut tromper personne. Sobre, une part de lui tente toujours de maintenir les apparences et d'adapter son comportement pour que le monde qui l'entoure ne le juge pas trop sévèrement.
Il s'aime à la dérive, dégoûtant et déroutant, parsemé de défauts et d'horreurs.
Il se méprise de ne pas savoir lutter contre l'addiction. Cocktail paradoxal.

Maintenant qu'Edwin est là, Morton n'est plus si certain de vouloir boire. L'homme est assez saoul pour ne pas le ménager mais toujours assez sobre pour tenir une conversation. Deux verres de plus et on ne comprendra plus rien à ce qu'il dit. Le brun connaît ses limites, s'amuse trop souvent à aller au delà. Si Trevor est une énigme pour bon nombre de personnes, lui se connaît par cœur, sous toutes les coutures.
Il se trouve ennuyant. A vomir. Sans cesse à côté de la plaque mais encore capable de viser au bon endroit. L'âme d'Edwin semble bouger plus que les autres ; sa flèche mise à côté de sa cible, la question de Fury lui décroche une grimace.
Il se sent acculé, recule d'un pas, animal pris au piège. Son cœur palpite d'une étrange façon sous sa cage thoracique. Ses os, possessifs, empêchent ses poumons de se gonfler d'un air frais et pur. Seule la fumée de sa clope se trouve un chemin dans sa gorge, le fait un peu tousser.

Un rire agaçant remplace la réponse de Morton. Son intelligence s'est faite la malle avec tout le reste. En mettant le corps de Solal en terre, son âme toute entière a fait le choix de laisser avec lui ce qui faisait du médecin ce qu'il était.
On ne peut conjuguer Trevor Morton qu'au passé. Un imparfait sordide où reposent rêves et fureur de vivre.
-- Je ne t'apprends rien si je te dis que l'intelligence est la dernière chose à posséder pour réussir. Le brun le cherche vaguement du regard. Edwin doit savoir  mieux que personne que seule la superficialité est reine. A chaque fois qu'il entre dans ces endroits bondés, Trevor ne peut s'empêcher de les trouver plus creux les uns que les autres car si Morton se sent plus merdique que la moyenne, sa fierté a aussi cette capacité à toujours se penser au dessus malgré tout. Le froid polaire de ses iris creusent son nid contre celles de Fury.

Morton hausse les épaules, termine par baisser la tête afin de rallumer sa clope mal allumée. -- Ça dépend, tu veux la version édulcorée ou tous les détails sordides ? Détaché, de son malheur, Morton pourrait le raconter à une assemblée que cela ne lui ferait plus rien. Morton dégueule son mépris de lui-même seulement quand il ne devrait pas le faire. L'homme aime se confier aux âmes les plus noires qui pourraient s'amuser de sa peine. -- J'ai perdu mon boulot et mon mari d'un cancer. Tu trouverais pas l'ironie presque belle ? Déroutant dans cette capacité de parler du pire sans une once d'émotion, Trevor n'est en réalité plus qu'un champs de bataille déjà saccadé dont il prend soin à asphyxier toute trace de vie tentant vainement de rejoindre la surface. -- Je suppose que c'est qu'une question d'équilibre. Je perds tout pendant que tu gagnes. P't'être bien que toi aussi un jour tu perdras pour laisser un autre émerger. Il marque une pause, s'approche à nouveau. Le regard vide mais la bouche pleine de vérités, ses pupilles détaillent les traits du plus jeune.

Finalement, il ajoute.
-- Te vexe pas mais t'as pas l'air d'un type en paix avec lui-même sinon t'aurais pas besoin de tout ça. Sa main tenant une clope désigne l'opulence du casino tandis que ses yeux l'accusent lui.
Cette allure parfaite qui lui donne la nausée rien qu'à y penser. Les plus ingérables sont souvent ceux dont la pierre de leur bouclier est la plus épaisse.
Morton n'est pas comme Edwin, lui n'a plus son cran de sûreté. Pourtant, des deux, il ne se sent pas le plus dangereux.

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